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Le seul monument d’Hébron est la mosquée qui renferme la grotte de Macphéla, tomheau d’Abraham et de ses premiers descendans. Cette attribution concorde rigoureusement Avec les données, assez sommaires, il est vrai, fournies par la Bible. L’ancienne basilique, sœur de celles d’El-Aksa et de Bethléem, appropriée au culte musulman, est dérobée aux regards profanes par une enceinte rectangulaire de belles murailles de 15 à 20 mètres de haut, d’appareil hérodien comme les soubassemens des murs de Jérusalem, à contre-forts saillans et symétriques ; mais le voyageur ne peut qu’en faire le tour et admirer dans la disposition de ces matériaux gigantesques un des plus beaux spécimens de cette période architecturale. Le fanatisme musulman ne permet à aucun chrétien l’entrée de la mosquée. Héhron est une ville sainte pour le mahométan, qui révère El-Khalil, le patriarche hébreu, presqu’à l’égal du prophète ; même avec une autorisation du gouvernement turc, on s’exposerait à être mis en pièces par la population, si l’on essayait de pénétrer dans l’intérieur. Le prince de Galles, venu ici il y a quelques années avec un firman en règle, dut renoncer à s’en servir devant l’attitude menaçante des habitans.

On doit donc accepter sous bénéfice d’inventaire les relations conjecturales qui ont décrit la mosquée et la grotte des Tombeaux. Je ne me plains pas pour ma part de cette prohibition ; elle permet à l’imagination de parer le sanctuaire, qu’un imam vous fait regarder avec respect par une fente du mur, de toutes les séductions du mystère, de tous les trésors de la légende ; du jour où l’on pourrait en franchir le seuil, on n’y trouverait sans doute que la réalité nue et insignifiante des lieux saints de l’islam, qui n’ont en général d’autre merveille qu’un souvenir plus ou moins autorisé.

On nous avait parlé des verreries d’Hébron, où se fabriquent tous les bracelets et les ornemens des femmes de Judée ; nous trouvons dans une cave obscure des Arabes qui soufflent au moyen d’un outillage primitif ces grossiers bijoux, torsades de verre rouges, bleues et jaunes entrelacées. Ces hommes se servent certainement des mêmes procédés et des mêmes modèles qui leur furent apportés, il y a trois mille ans, par quelque ouvrier phénicien de Tyr ou de Sidon. Une autre production d’Hébron est le « vin d’or, » qu’on tire des vignes plantées en assez grand nombre sur ces coteaux : d’un beau ton de topaze brûlée et d’une saveur sèche assez agréable, il serait susceptible de devenir exquis avec quelques améliorations de culture et de fabrication ; mais c’est évidemment encore la même liqueur qui surprit la raison trop confiante du patriarche Noé ; préparé suivant la recette du premier vigneron, on le conserve dans ces grandes jarres de terre poreuse, vieilles comme la soif humaine.