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souffrance. Ici l’on comprend toute la parole du psaume : solem fecit in potestatem diei, il a donné au soleil puissance sur le jour. Pour toute distraction, nous apercevons dans un ravin les tentes noires de la tribu de notre cheik, des Bédouins fellâhins, dignes habitans de ces sinistres domaines. De l’autre côté de la Mer-Morte, la ligne horizontale des montagnes transjordaniennes détache durement sur le ciel les arêtes rigoureusement nivelées de sa longue table. La chaîne se déroule comme un ruban sans fin sur le double fond bleu de l’eau et du ciel qu’elle coupe par le bas et par le haut de deux traits parallèles tirés au crayon noir ; rien ne ressemble à l’apparition, entre les deux calmes firmamens, de cette bande sombre, âpre, tourmentée, crispée par une main de colère, sillonnée de wadis et de fissures, se tordant désespérément entre les deux lignes inflexibles.

Au moment où ce singulier paysage acquiert toute son intensité d’horreur, les tours de Mâr-Saba surgissent dans une gorge au-dessous de nous. Comment rendre l’impression produite par l’apparition de l’étonnant monastère ? Dans le ravin profond et tari du Cédron, entre deux hautes tours, restes de quelque forteresse romaine, derrière d’épais remparts, protection nécessaire contre les nomades, s’étage et s’accroche au roc, dont il ne se distingue pas par sa couleur, tout un monde de constructions sans suite, chapelles, chambres, corridors, escaliers, où la bâtisse de pierre s’interrompt sans cesse pour faire place à des grottes, à des cavernes, et reprend pour les continuer. On monte, on descend mille fois dans ce labyrinthe inégal, à travers des jardinets suspendus, des cellules creusées dans le rocher, où les moines sont nichés à diverses hauteurs, comme un vol de pigeons, des chapelles consacrées à de saints ermites, magnifiquement ornées de dons précieux et de vieilles icônes byzantines. Pas d’autre végétation dans cette vaste enceinte et dans tout son horizon que le célèbre palmier de saint Saba et deux à trois plants de grenadiers venus à grand’peine dans quelques pouces de terre rapportée ; partout la pierre, jaune quand le soleil l’illumine, blanche quand il disparaît, comme à cette heure. Entre les deux poternes étroites, aux lourdes portes de fer, qui donnent accès après de longs pourparlers dans la forteresse monacale, une source vive jaillit de cette roche brûlée et alimente le couvent par un miracle dû à la prière du saint fondateur, suivant les caloyers. Nous nous accoudons sur la grande plate-forme pour embrasser l’ensemble. Devant nous, la montagne opposée, sauvage, déchirée, taillée à pic sur le lit toujours tari du Cédron, qui se creuse à plusieurs centaines de pieds en abîme ; derrière nous, des terrasses qui surplombent, sans que le regard puisse jamais