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imprimant ses sabots dans le sable de la plaine ou les dalles friables de la montagne, reflétant dans son œil doux et contemplatif l’éternelle uniformité du désert. Il sait l’inanité des désespoirs et des colères contre la fatalité, qui est la plus forte ; il la porte avec patience et courage, économisant ainsi des coups et des fatigues de surcroît. Cette acceptation méprisante de la destinée contre laquelle on ne peut rien n’est-elle pas une leçon de philosophie pratique qu’il nous donne à tous ?

Le chemin serre de près la chaîne qui rattache le Carmel aux monts de Samarie, belles masses de rochers, bien découpées, séparées par des ravins profonds et sombres, revêtues de robustes forêts de chênes aux aspects alpestres : les aigles y planent en grand nombre, les ours et les sangliers habitent leurs retraites comme au temps d’Elie et d’Elisée. — Singulières figures, celles de ces farouches prophètes, habitans des sommets et des cavernes, d’où ils sortaient inopinément pour aller tancer au fond de leurs palais les rois prévaricateurs ! L’histoire ne nous offre rien de comparable à ce pouvoir de l’éloquence et de l’austérité, qui représentait seul, dans l’absolutisme de l’état hébreu, ce que nous appellerions aujourd’hui le contrôle. Luttant sans relâche pour le maintien de leur influence religieuse et politique contre les compétiteurs qui cherchaient à se substituer à eux, ils étaient sans pitié dans la victoire : le plus fort et le mieux écouté n’avait pas de cesse qu’il n’eût fait massacrer les prophètes rivaux. Aux grandes époques du prophétisme, comme sous Elie et son successeur, ils font et défont les rois, guident les armées, traitent avec l’étranger, jettent des victimes au peuple, ordonnent toutes choses dans l’état, sans jamais essayer, de détourner à leur profit l’apparence du pouvoir, dont ils ont la réalité ; puis leur tâche finie, ils disparaissent soudain, comme ils sont apparus, dans un antre de la montagne, où le peuple enthousiaste cherche vainement leur trace perdue. Une tradition affaiblie de leur audace semble être restée à ces derviches musulmans qui sortaient parfois de leurs tékés pour réprimander durement les plus redoutés vizirs et même les califes tout-puissans.

Nous dépassons le champ de bataille historique de Mageddo, où Israël fut écrasé par les masses égyptiennes jetées sur l’Asie par Néchao. La plaine se rétrécit : à notre gauche s’effacent successivement les sommets du Thabor, du Petit-Hermon, de Gelboë et de Galaad, où les jeunes Juives pleuraient la virginité de la fille de Jephté. Encore une vivante silhouette de Bédouin, cet aventurier que les hasards de la guerre firent juge en Israël. Fils naturel d’une courtisane, repoussé par ses frères de la maison paternelle, il avait été chercher fortune au bout de sa lance dans la Transjordanienne.