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par l’esprit juif, embellies par le goût romain. La féconde vallée livrait à la culture ses richesses tropicales, une population nombreuse l’habitait. C’était l’heure où la Galilée, séjour préféré des Hérodes, éclipsait presque la fortune de Jérusalem ; mais voici qu’un jour la malédiction irritée tombe sur cette Décapole, sourde à la parole de salut ; aussitôt la guerre civile et étrangère, la dévastation, le pillage, tous les fléaux se déchaînent sur elle, détruisant jusqu’au souvenir de ses splendeurs. La terre maudite refuse désormais de porter des cités et des fruits ; le silence et la solitude se sont faits pour les siècles sur la mer de Génésareth ; aucun bruit humain ne saurait plus les troubler, rien n’y viendra distraire la méditation du passant, hormis le grondement de la houle aux jours d’orage, demeuré comme un écho de l’anathème. — Vœ tibi Bethsaïda !


Nazareth, le Carmel, Esdrelon, 1er-5 décembre.

Nous disons adieu pour quelque temps au Jourdain, que nous retrouverons à son embouchure dans la Mer-Morte, et nous reprenons notre route à l’ouest pour gagner Nazareth, le Carmel et la mer. On s’élève par des plateaux superposés au-dessus du lac ; le dernier, celui de Kouroun-Hattin, est le champ de bataille où Saladin remporta sur l’armée chrétienne, commandée par Guy de Lusignan, en 1187, la victoire décisive qui mit entre ses mains Jérusalem et toute la Palestine. Peu après, d’El-Lubbieh, vieux khan en ruines et de fort grand air néanmoins, bâti au XVIe siècle pour abriter les marchands qui venaient d’Égypte à Damas, on gagne le pied du Thabor, qui surgit au-dessus de la plaine d’Esdrelon comme un gigantesque autel. Un chemin en lacets, pavé de grandes dalles qui trahissent le ciseau romain, conduit en une heure sur la plateforme, partagée entre les couvens des deux familles chrétiennes, grecque et latine. Du Thabor, en pressant le pas des chevaux à travers des ondulations de terrain boisées et presque riantes, comparées aux massifs de la Galilée septentrionale, on peut arriver le soir même à Nazareth. Les premières maisons apparaissent dans un pli de terrain, appendues au flanc de leur colline comme des grappes de saxifrage. Je remarque de nouveau ce curieux effet d’optique des villes arabes, dont les terrasses et les murs gris se confondent si bien avec la couleur naturelle du sol qu’on en approche souvent sans les voir. — Nazareth est cependant la bourgade la plus propre et la mieux bâtie que nous ayons rencontrée. Les établissemens religieux européens lui donnent une physionomie aisée et considérable.

Nous campons à l’entrée de la ville, sous les oliviers, près de la fontaine. Après la visite des sanctuaires consacrés par de pieuses