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nord jusqu’à l’endroit où le Jourdain tombe dans la mer de Galilée en tournant une large barre, formée par les atterrissemens de sable. De là nous rangeons la rive nord-ouest en revenant vers El-Mejdel. Les gens du pays montrent à Tell-Houm l’emplacement de Capharnaüm ; ainsi le veut la tradition. La critique ne se rend pas aussi facilement à cette attribution : pour les uns, la ville où habita Jésus-Christ devrait être placée un peu plus loin, à Aïn-Tabiga, — pour d’autres, plus loin encore, à Aïn-et-Tin ; Tell-Houm serait cette Chorozaïn contre laquelle le Sauveur lançait l’anathème. L’aspect uniforme des monticules qui circonscrivent au nord le bassin du lac et l’absence de données plus précises que les vagues indications des évangélistes rendent ces conjectures bien hasardeuses. Peu m’importe d’ailleurs, je l’avoue, l’identification de la demeure de Jésus avec telle ou telle colline qui n’en garde plus de trace ; ce qu’il faut se dire, c’est qu’il a foulé tous ces lieux, qu’il a prêché sur toutes ces montagnes la parole nouvelle, que toute cette vallée élue a été le sillon où ont germé ces semences de vie. Chacun de ces champs, de ces flots, de ces ravins, a inspiré une de ces populaires homélies où la doctrine de charité qui n’était encore qu’un thème de philosophie pharisienne, la consolation de quelques docteurs du sanhédrin comme Hillel, de quelques rêveurs esséniens, s’est faite pratique et accessible aux humbles, est devenue l’espoir et la récompense des sueurs secrètes du pauvre, de ses pleurs ignorés.

Si vraiment Tell-Houm est l’emplacement où s’éleva Capharnaüm, « la ville exaltée jusqu’au ciel, » quel contraste aujourd’hui ! Sur la grève déserte, parmi les roseaux, une douzaine de tentes noires, habitées par les Bédouins fellahins, rampent à demi enfouies sous le fumier des troupeaux. Ces nomades, les plus misérables que nous ayons vus, viennent nous contempler de la plage en nous assourdissant de l’éternel refrain de la mendicité orientale, bakchich, bakchich ! Les enfans sont nus comme la main, les femmes à peine vêtues de haillons innomés, les hommes assis autour d’une longue lance fichée en terre devant la tente du cheik ; tous portent les stigmates dégoûtans de la malpropreté, de la misère volontaire et de l’abrutissement. — Vœ tibi Chorozaïn !

Sur ces rives hantées par des pâtres et des bandits, une civilisation florissante a brillé un instant. Une couronne de cités riches et élégantes se mirait dans les flots de cette mer que sillonnaient leurs embarcations : Capharnaüm, Bethsaïda, Chorozaïn, Magdala, Tibérias, et, plus au sud, Gadara, Hippos, Tarichée, Emmaüs, renommée pour ses eaux sulfureuses où de beaux bains arabes s’élèvent encore sur l’emplacement des thermes d’Hérode, à deux portées de fusil de notre campement : villes de science et de plaisir, vivifiées