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Nous sommes descendus de Saphed au bord du lac par une succession de plateaux sans intérêt. Vue d’en bas, la jolie ville pyramide sur la hauteur avec je ne sais quelle grâce altière et aérienne qui a conduit tout naturellement les rabbins de Tibériade à l’identifier avec la nouvelle Sion, la cité céleste promise par le voyant, qui brillera sur la montagne à la fin des jours. Sur les pentes que nous laissons à notre gauche, de nombreuses ouvertures, anciennes caves sépulcrales, trouent le rocher ; c’étaient les tombeaux déserts où habitaient les possédés de l’Évangile : aujourd’hui les bandes de pillards qui désolent la plaine s’y réfugient quand l’autorité turque, bien nominale dans ces contrées, tente une démonstration quelconque pour nettoyer le pays.

Nous rejoignons le lac au hameau d’El-Mejdel, l’ancienne Magdala, la patrie de Marie la Repentie : Nous côtoyons pendant une heure la grève caillouteuse, ’calme et triste entre ses falaises de rocher sans végétation ; au tournant d’un promontoire apparaît l’enceinte de murailles, flanquée de grosses tours, ponctuée par des minarets et des stipes de palmiers, où Cheik-Daher enferma au siècle dernier la petite ville de Tabarieh, corruption arabe du nom de Tibériade. C’était un terrible homme que ce Daher. Issu de la puissante tribu des Beni-Ziadneh, il s’était allié aux Druses de la montagne, et avait pris à sa solde des aventuriers de toute race, Égyptiens, Arnautes, Grecs renégats. A la tête de ces forces, il se tailla un petit royaume qui s’étendait d’Acre à Tibériade, et le maintint durant un demi-siècle, avec des alternatives diverses, contre les lieutenans de la Porte. A quatre-vingt-dix ans, il combattait encore à la tête des cavaliers druses. Enfin, traqué par les mameluks, abandonné et vendu aux Turcs par ses fils, ce roi Lear du désert tomba dans une embuscade de son rival, Djezzâr-Pacha : celui-ci, pour justifier le surnom de boucher qu’il avait mérité, trancha la tête du vieux rebelle et la fit saler pour l’envoyer à Constantinople. — Le tremblement de terre de 1837 n’a laissé debout à Tibériade que quelques masures où des Juifs attendent le Messie dans des cloaques peu faits pour l’attirer. Des chrétiens grecs et une douzaine de latins y ont une petite église desservie par un franciscain de la mission de Nazareth. Tout cela est bien peu de chose, et pourtant J’effet général de la ville et des murs, venant mourir dans les vagues, de cette belle mer de Génésareth, rayonnante de lumière, solitaire et silencieuse dans sa ceinture de montagnes, est ravissant.

Ce tiède bassin, ces vallées fertiles, abritées de toutes parts, maintenues par la masse d’eau à une température égale, devraient être le jardin de la Syrie. De beaux palmiers égaient par endroits les