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apprendre à monter à cheval, à jouer aux cartes, à fumer ; il songe même à lui donner des leçons d’escrime, sous le fallacieux prétexte qu’un missionnaire ne doit négliger aucun moyen de persuasion ; au besoin, il lui apprendrait à manier le couteau, la navaja, ainsi qu’il sied à tout bon Andalou. Le pauvre Luis d’abord s’étonne, proteste, puis finit par se résigner. En vérité, c’est trop souffrir, si l’on se mêle à une partie de campagne, que d’aller ainsi à l’arrière-garde, bourgeoisement planté sur une mule docile, entre la grosse tante Casilda et le vieux curé, tandis que par devant les autres jeunes gens caracolent sur de beaux coursiers et que Pepita elle-même, dirigeant avec aisance une superbe bête, laisse tomber en passant sur le pauvre théologien un regard d’affectueuse pitié. D’ailleurs un prêtre a souvent besoin de savoir monter à cheval. Les cartes également lui fournissent, lorsqu’il va dans le monde, une contenance et une distraction : ici en particulier elles permettent au jeune Luis de prendre place chaque soir à côté de Pepita, de lui parler, de l’entendre, de s’enivrer de sa présence. Aussi n’aurait-il garde de trouver le temps long, et, pour peu que son père en manifeste le désir, bénévolement consentira-t-il à soigner avec lui les vins, à rentrer les huiles. — On prévoit ce qui arrive : l’intimité se fait de plus en plus grande entre Luis et Pepita, ils échangent d’abord des œillades brûlantes, des serremens de mains mystérieux ; puis un beau jour, se trouvant seul à seule, leurs lèvres se rapprochent, et tremblans, éperdus, épouvantés eux-mêmes de leur audace, ils s’avouent tout bas leur amour dans un premier baiser.

A cet endroit s’arrêtent les lettres du jeune homme, et vraiment nous le regrettons. Aussi bien les divers caractères nous sont connus, l’intrigue est toute tracée, le dénoûment se devine ; la partie qui suit, de beaucoup la plus longue et la plus détaillée, n’offre pas le même intérêt. C’est un récit épisodique attribué au doyen, l’oncle de don Luis, qui l’écrit après coup, par manière de distraction et pour servir à l’occasion d’enseignement aux générations futures. L’excuse est naïve ; un romancier de profession eût su trouver aisément quelque expédient pour relier entre elles les deux parties de son œuvre. Les dialogues ne sont pas toujours fort bien amenés, l’affectation d’exactitude devient puérile et presque fastidieuse. Comprend-on ce vieux prêtre se mêlant de raconter tout au long l’histoire d’un amour terrestre et qui, hélas ! ne doit point rester chaste et innocent jusqu’au bout ? Les notes mêmes de M. Valera, le soin singulier qu’il a pris de nous marquer dès le début comment fût trouvé le curieux manuscrit dans les papiers du doyen, tout cela ne sert qu’à mieux trahir son embarras et l’insuffisance du procédé.

Après la scène du baiser, don Luis, confus de sa trop facile défaite, s’est juré d’arracher de son âme l’image de la jeune veuve et de se consacrer définitivement au Seigneur ; il reste enfermé chez lui et presse tout pour son départ. Il a compté sans Antoñona, la nourrice de Pepita,