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son goût. Quoi qu’il en soit, beaux ou laids, braves chasseurs ou hardis cavaliers, les pinceurs de guitare où les danseurs de boléro, tous les soupirans à tour de rôle ont été évincés ; don Pedro de Vargas lui-même, le père du jeune Luis, l’homme important de l’endroit, le cacique, comme on dit là-bas, n’a guère été plus heureux. Sa conquête pourtant avait de quoi flatter un orgueil féminin. Don Pedro, paraît-il, n’a pas souvent rencontré de cruelles, et, s’il, adore les femmes, ce n’est pas jusqu’à leur offrir sa main. Pepita seule eût pu convertir le pécheur et fixer ce cœur inconstant ; mais, tout en voulant rester son amie, elle hésite à se prononcer, et sans cesse recule le oui fatal. Ah ! s’il s’agissait du jeune Luis ! Fort à propos il vient de sortir de son séminaire. Quel singulier garçon, et charmant malgré tout sous des dehors craintifs, avec sa mine effarouchée, ses passions vierges, sa soif de sacrifice et de dévoûment ! Décidément Pepita n’épousera pas don Pedro. Arracher une âme au diable, c’est bien quelque chose ; l’enlever à Dieu lui-même, remplacer un amour divin, voilà qui est mieux ; le remords du sacrilège et la conscience de l’impiété qui s’y mêlent rendront l’intrigue plus piquante encore. Les femmes dévotes ont parfois de ces raffinemens singuliers. Une d’elles n’a-t-elle pas dit dans sa corruption naïve que ce qui double la saveur de la faute, c’est la peur qu’on éprouve à se sentir damné ?

Pepita donc serait bien aise de rendre Luis amoureux ; peut-être qu’elle ne s’en explique pas encore avec elle-même aussi clairement ; mais déjà ses yeux vont chercher les yeux du jeune homme, et c’est à lui qu’elle réserve son plus charmant accueil. Don Luis d’ailleurs n’est que trop facile à séduire : sa présomption même et son orgueil lui sont un désavantage de plus. Tout d’abord, il affecte l’indifférence la plus profonde ; s’il s’occupe de Pepita, prétend-il, c’est qu’il s’agit du bonheur de son père et de l’honneur de la famille ; mais l’intérêt plus direct qu’il prend à cette étude perce bientôt malgré lui. Il faut le voir devant la gentille veuve, tremblant, muet, interdit, la couvant des yeux, suivant ses gestes et buvant ses paroles. Rien de plus plaisant que sa mine en-dessous et ces façons sournoises qui sentent bien leur séminaire. On dirait messire chat qui s’est introduit dans l’office, et de loin, crainte du bâton, convoite le déjeuner du maître sur le feu. Il n’ose point encore s’avouer son amour, mais cet amour se trahit à tout instant ; il a des accès d’attendrissement subits, inexplicables, il pleure devant les fleurs et rêve devant les étoiles ; en même temps décroît sa ferveur religieuse, des distractions l’assaillent au milieu de ses prières, il s’en accuse humblement, et cependant il ne songe pas à prendre la fuite, le seul moyen de vaincre en certains genres de bataille, comme l’écrit le vieux doyen. Les jours, les mois, s’écoulent, et de plus en plus il recule le moment d’entrer dans les ordres. Il ne parle que de Pepita, ses lettres sont pleines de cette femme, comme sa pensée. Oubliant à