Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/468

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune prince poursuivait ses études dans un collège militaire d’Angleterre, il était venu à Paris pour fêter la nouvelle année : un coup de télégraphe lui a annoncé que l’exil avait cessé pour lui, qu’il était roi, et aujourd’hui ce souverain de dix-huit ans, proclamé sous le nom d’Alphonse XII, est déjà en Espagne. Une escadre, partie de Carthagène, est venue le prendre à Marseille et l’a conduit à Barcelone ; puis à Valence, d’où il gagne Aranjuez et Madrid. Tout cela semble s’être fait sans une ombre de résistance sérieuse, et en rentrant bravement dans son pays par Barcelone, qui a toujours passé pour la ville la plus turbulente, la plus révolutionnaire de l’Espagne, le jeune souverain paraît n’avoir trouvé dès ses premiers pas que des sympathies.

Comment s’est accomplie cette révolution nouvelle ? Quelles en ont été au dernier moment les péripéties décisives ? Il est bien certain que cette restauration de la royauté dans la personne du fils de la reine Isabelle n’a pas pu être uniquement le coup de tête de quelques hommes demeurés fidèles à la dynastie jetée dans l’exil en 1868. Elle a été préparée par tout ce qui s’est passé en Espagne depuis six ans, par les violences meurtrières et stériles des partis, par la fatigue du pays excédé de désordres et d’instabilité, par l’impuissance du dernier gouvernement lui-même. Pendant ces six ans, tout a été essayé. La royauté étrangère, représentée par le prince le plus libéral et le plus honnête, n’a pas pu vivre à Madrid, et ceux qui, après l’avoir appelée, avaient la prétention de la servir, n’ont réussi qu’à la conduire à une abdication volontaire. La république n’a été qu’un mot et une convulsion de quelques mois ; sa seule chance a été d’être un instant représentée par un homme d’une supériorité séduisante, par le brillant Castelar, qu’elle n’a pas tardé à dévorer. Elle avait été perdue par les bandits d’Alcoy et de Carthagène avant d’être balayée par le coup d’état militaire de Pavia le 3 janvier de l’année dernière. Le gouvernement du général Serrano, né de ce coup d’état, a été une dictature sans efficacité. Il a eu beau être reconnu par les puissances européennes, envoyer ou recevoir des ambassadeurs, il sentait bien lui-même qu’il n’était qu’une transition, et en réalité M. de Bismarck ne lui avait prêté son appui avec tant d’apparat l’été dernier que dans la pensée de l’aider à en finir avec les carlistes et à rétablir une monarchie où l’Allemagne trouverait son compte. La dictature de Madrid n’a pas pu vaincre cette insurrection carliste, à laquelle on n’avait à opposer ni un gouvernement régulier ni même un drapeau. Tout est là. Le général Serrano n’ignorait pas que, dans l’armée, parmi les chefs de l’armée, il y avait un sentiment prononcé en faveur d’une royauté libérale qui seule pouvait offrir le drapeau à opposer au carlisme. Lorsqu’il allait récemment se mettre à la tête de l’armée du nord, à Logrono, il savait parfaitement qu’il laissait derrière lui un capitaine-général, Primo de Rivera, un des blessés des batailles