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elle ne peut l’avouer, mais on voit que son idéal est l’Américaine. Toutes les sympathies de Rhodope au contraire sont pour la femme grecque, et elle prouve que la jeune fille accomplie est celle qui connaît la musique et.la gymnastique. Un soir que l’ancien roi de Lydie et ses compagnons étaient montés sur les barques royales pour aller entendre Rhodope a Naucratis, Gygès parut tout à coup dans l’assistance, et annonça d’une voix basse et rapide que les jardins étaient cernés, remplis d’Éthiopiens ; un esclave des écuries du pharaon lui avait révélé que Psammétik était parti pour s’emparer de Phanès, l’hôte de Rhodope. Amasis avait cédé à son fils et aux prêtres ; il laissait poursuivre l’ancien chef des mercenaires grecs. C’était pourtant moins comme sacrilège que comme possesseur d’un terrible secret d’état que l’héritier au trône d’Égypte voulait la vie de l’Hellène. Gygès accourait de Saïs ; le fils de Crésus exhorte Phanès à fuir, le revêt d’habits persans, et se fait prendre à sa place par les noirs Éthiopiens.

Cependant un matin qu’elle folâtrait avec la vieille esclave Mélitta dans le jardin de sa grand’mère, Sappho, la petite-fille de Rhodope, aperçut, cachée derrière un buisson de roses, le frère du roi de Perse, Bartja, beau comme Apollon. La petite personne venait justement de se chanter des vers plus ou moins authentiques du doux Anacréon, Elle courait sur les pas de l’esclave qui allait annoncer le visiteur, lorsqu’elle embarrassa son vêtement dans les épines des rosiers. Avant qu’elle puisse se délivrer, le prince charmant s’élance vers la jeune fille, qui le remercie en rougissant : elle riait, les yeux baissés, toute honteuse ? puis elle s’enfuit, légère comme une biche, Bartja la poursuit, lui prend la main, et, rapidement, malgré ses efforts pour lui échapper : « La rose qui repose sur ton sein, oh ! donne-la-moi pour que je me souvienne dans ma lointaine patrie ! » Sappho écoute le jeune homme, qui saisit l’occasion de lui apprendre le nombre et la nature des plus hautes vertus chez les Perses, La théologie et la liturgie des adorateurs de Mithra et d’Auramazda ne sont pas oubliées. « T’es-tu jamais trouvée sur l’âpre sommet d’une haute montagne et sentie environnée, dans le silence de la nature, par le souffle de la Divinité ? Dans les vertes forêts, auprès d’une onde pure, sous le libre ciel, t’es-tu prosternée, as-tu écouté la voix de Dieu qui parle dans la feuillée et les eaux courantes ? .. » — « Sappho ! » appelle au loin la grand’mère. « Oh ! ne me quitte pas encore ! » s’écrie Bartja. « L’obéissance est aussi une vertu des Perses, » fait la maligne enfant. « Et ma rose ! » soupire le prince. Sappho cède, et se laisse passer autour du cou une chaîne à laquelle pend une étoile de diamant. « Quand te reverrai-je ? » demande-t-il. « Demain, dans ce bosquet de roses, » et elle s’échappe des bras du prince.