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l’ombre d’un sycomore, près d’un gigantesque bassin de granit rouge, où des crocodiles de basalte noir laissent tomber de leurs gueules de larges nappes d’eau, les deux souverains dissertent sur l’essence du bonheur. Amasis, qui a détrôné violemment son prédécesseur, ne manque pas de gémir sur les maux inséparables de la grandeur et du pouvoir royal. « Que te semble de nos temples et de nos pyramides ? » demande le pharaon. Crésus répond qu’à chaque pas sa curiosité est éveillée, mais que nulle part son amour du beau n’est satisfait. « La mort tient chez vous trop de place, on dirait qu’elle est l’unique but de la vie, ou plutôt la vie véritable. » Amasis en prend texte pour exalter les médecins égyptiens, renommés dans le monde entier.

Les envoyés du roi de Perse sont conviés par le pharaon à une fête splendide : on célèbre les fiançailles de Nitétis, la fille du roi d’Égypte, destinée à Cambyse. Le palais, illuminé par la flamme d’innombrables lampes de papyrus, paraît en feu. Dans les grandes salles couvertes d’hiéroglyphes, entre les colonnes peintes, ce ne sont que plantes rares, touffes de grenadiers et d’orangers, buissons de rose, tamaris et mimosas au feuillage gracieux, d’où sortent de vagues mélodies de harpe et de flûte. Les Perses admirent les dames de la cour d’Égypte, à peine vêtues de légères étoffes transparentes, élancées et souples comme de jeunes palmiers, d’une pâleur ardente et voluptueuse, les mains, les bras et les chevilles ornés d’anneaux d’or, les ongles teints, des fleurs de lotus sur la tête, le nez petit, les yeux longs, agrandis par une ligne d’antimoine. Si Bartja était le plus beau, Nitétis était la plus belle : grande et fière, l’œil noir, d’apparence royale en ses longs voiles, elle avait mis une rose dans sa sombre chevelure. Près d’elle était une pâle et délicate jeune fille, Tachot, sa sœur jumelle, les yeux bleus et les cheveux blonds. L’épouse d’Amasis, Ladice, Grecque de naissance, portait sur sa tête l’uræus d’or. Après la présentation, danse d’aimées court vêtues, au ’son des harpes et des tambourins. Une table servie Il la mode hellénique réunit Amasis et ses principaux hôtes : la joie redoubla quand le majordome parut, montrant aux convives une petite momie dorée, et dit : « Buvez, amusez-vous, soyez gais, bientôt vous serez comme elle. »

Les Perses et Crésus fréquentaient aussi la maison de Rhodope. Ils devaient trouver peu de variété dans les longs discours de la vieille Thrace ou de la reine Ladice. Ces deux femmes, d’état si différent, professent devant les envoyés de Cambyse, sur la condition comparée des femmes d’Égypte, de Grèce et d’Éran, les plus étonnantes théories. Ladice, qui déclare l’Égyptienne la plus heureuse, plaide la cause de l’instruction et de la liberté des jeunes personnes ;