Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/445

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si Salammbô, que je placerais volontiers au-dessus du Roman de la Momie, n’échappe pas à une précoce caducité, que dire d’une Fille de roi d’Égypte, dont nous allons présenter une analyse sommaire ? On ne peut renvoyer M. Ebers, comme M. Flaubert, à des études de mœurs contemporaines, les seules dignes aujourd’hui d’un romancier ; à coup sûr il n’aurait pas écrit Madame Bovary. Invitons-le respectueusement à revenir pour toujours aux hiéroglyphes et à l’histoire d’Égypte, où tant d’autres princesses véritables, à la peau souple et parfumée sous leurs diadèmes, leurs pectoraux, leurs bracelets d’or massif et de pierreries, les ongles des pieds et des mains encore teints de henné, l’appellent du fond de leurs sarcophages de basalte noir ou de granit rose.


II

Le Nil couvrait au loin les champs ensemencés, et sur ses flots jaunis, aux vagues reflets violets, s’étendaient les grandes ombres des palais et des temples, des digues, des cités et des bois de palmiers. Les branches des sycomores et des platanes pendaient dans l’eau du fleuve, que semblaient fuir les hauts peupliers au feuillage d’argent. La lune se levait, faisant surgir à l’occident les montagnes libyques, et noyait toute la vallée du Nil en une molle lumière. Çà et là des fleurs bleues ou blanches de lotus flottaient sur l’onde endormie. Protégés par des tiges de papyrus, des pélicans, des cigognes, des grues, se tenaient en tas sur la rive, leurs longs becs cachés dans leurs plumes. Un chant doux et monotone de rameurs égyptiens troublait seul le silence de la nuit : une barque de mimosa, partie de Naucratis, aborda aux jardins de Rhodope. Deux hommes en descendirent ; l’un, jeune encore, d’une taille svelte et élégante, arrangeait en causant les plis de sa chlanis de pourpre ; l’autre, grand et robuste, les épaules couvertes de longues boucles de cheveux gris, était vêtu d’un simple manteau : quoiqu’il eût une jambe de bois, il suivait sans fatigue son compagnon. Ces deux hommes, Phanès et Aristomachos, étaient un Athénien et un Spartiate. Soldats de fortune, ils avaient guerroyé sur terre et sur mer à la solde des pharaons et fait pour Amasis la conquête de Chypre.

Qu’était-ce que Rhodope ? Une hétaïre fameuse, dont l’Athénien raconte la vie au Spartiate avant de l’introduire chez son amie. Enlevée tout enfant aux rivages de la Thace par des corsaires phéniciens, elle fut achetée par Jadmon, bourgeois de Samos, et devint esclave avec Ésope. Instruite dans tous les arts, avec les fils de son maître, par le futur auteur des fables, Rhodope était à quatorze ans