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Saint-Quentin, longtemps approvisionnés par l’Angleterre, se familiarisent avec nos filés fins, on en écoule même en Suisse concurremment avec ceux de Manchester. Les qualités sont plus belles et les procédés plus économiques ; des perfectionnemens y ont été appliqués, entre autres l’usage des bancs à broche en remplacement des lanternes et des métiers en gros. Dans l’enquête citée, les témoignages les plus concluans s’accordent sur ces faits. M. Mimeret lui-même, qui n’est pas suspect, est forcé de dire : « Nos ouvriers ont appris à faire mieux ; nous-mêmes nous sommes devenus plus experts dans notre art. » M. Roman déclare qu’il n’y a pas une grande différence entre la production française et la production anglaise quant à la qualité et à la quantité des filés fournis par le même nombre de broches. M. Nicolas Kœchlin est plus affirmatif, et se prononce résolument pour la liberté du commerce. D’après lui, l’industrie française étant parvenue à un degré remarquable de perfection et de développement, il lui faut nécessairement autre chose que le marché intérieur, le seul que le régime restrictif lui permette. Appelé à donner son avis sur la comparaison entre les filés anglais et les nôtres, il a répondu : « Je pense que, pour les numéros qui forment les neuf dixièmes de la consommation, nous n’avons absolument rien à envier à l’Angleterre. »

Voilà entre 1825 et 1834 les contrastes d’appréciation et de langage, tels qu’ils résultent de documens officiels et de témoignages compétens. Toute exagération écartée, il semble qu’il y ait là pour nous un commencement de revanche.

En poussant plus loin, nous verrons nos chances s’accroître et nos améliorations se succéder ; il en est dans le nombre qui nous sont propres, d’autres que nous avons empruntées à des pays étrangers ; somme toute, notre lot est au moins égal au leur : faire le détail des unes et des autres serait une tâche ingrate et de nature à lasser l’attention ; il vaut mieux glisser sur les petites inventions pour aller droit aux grandes. Par petites inventions, j’entends celles qui ont porté sur le battage et l’épluchage du coton, sur les cardes et les étirages, les chapeaux à dévider. Parmi les grandes inventions, il en est deux qui se détachent des autres comme ayant fait révolution dans les industries où elles se sont introduites, la peigneuse Heilmann et le métier à renvider, qui a pris et gardé en Angleterre le nom de self-acting. Commençons par ce dernier engin.

Dans la manœuvre du mull-jenny, une partie du mouvement, c’est-à-dire l’étirage et la torsion, est donnée par un moteur mécanique ; une autre partie, le dépointage, la rentrée du chariot et l’envidage, a lieu par la main du fileur. Dans les mull-jennys demi-renvideurs, l’empointage et la fin de la rentrée se font aussi par le moteur, et l’ouvrier n’a qu’une impulsion à donner au chariot