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depuis les plus gros jusqu’aux plus fins. Seulement ces métiers furent disposés de manière à pouvoir en faire renvider deux par un seul filateur. Dans le commencement, les métiers en gros et en fin étaient mis en mouvement par les ouvriers eux-mêmes ; un cours d’eau ou un manège de bœufs faisait marcher la carderie, c’est-à-dire le batteur, les cardes, les laminoirs et les lanternes ; mais déjà vers 1825 il n’y avait plus dans le Haut-Rhin de filature marchant à bras. Des chutes d’eau ou des machines à vapeur, quelquefois les deux moteurs se trouvant réunis, avaient remplacé partout la force de l’homme. Cet heureux changement, secondé par des machines plus perfectionnées et une habileté plus grande acquise par l’ouvrier, permit d’augmenter le produit en fil par broche et en même temps d’abaisser le prix de revient. Ainsi en 1815 on obtenait par broche et par an 4 kilog. 50 grammes seulement de fil n° 28, et en 1835 la même broche pouvait fournir 10 kilog. 65 grammes du même fil, soit plus du double et en meilleure qualité.

Nous avons dit qu’au spectacle de cet épanouissement, si plein de promesses, l’Angleterre s’était émue et avait craint pour ses propres débouchés ; elle le prouva bien dans les derniers mois de 1825. Mis en éveil par quelques pétitions, le parlement ordonna une enquête qui devait s’étendre à tous les marchés de l’Europe, mais qui visait plus particulièrement la France et la Suisse. Pour ces deux pays, le commissaire désigné fut M. William Fairbairn, ingénieur de grand renom ; on lui avait remis un questionnaire, et, après une étude faite sur les lieux, il devait y répondre. Cette enquête est curieuse à divers points de vue et surtout à raison des préjugés qui y règnent. Ce qu’on pense aujourd’hui en matière de concurrence de peuple à peuple et d’industrie à industrie est en parfait contraste avec ce qu’on en pensait alors, même parmi des savans comme M. Fairbairn. Pour en juger, il suffit de citer quelques-unes des demandes qu’adressait l’enquête à son délégué, et des réponses qu’il y a faites.

D. — Quel est l’état des filatures de coton en Alsace comparativement avec les filatures d’Angleterre ?

R. — L’état de celles que j’ai visitées en Alsace était beaucoup meilleur que je ne m’y attendais ; cependant il était inférieur à celui des filatures d’Angleterre sous le rapport des machines.

D. — Dans quelle partie des machines vous paraît-il que les Français soient inférieurs aux Anglais ?

R. — Principalement dans les machines pour la préparation, c’est-à-dire les cardes, les étirages et boudinoirs, et les métiers à lanternes.

D. — Les pièces étaient-elles bien ajustées ?