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d’argent pour construire des ateliers, monter des métiers, munir les locaux des appareils encore rudimentaires qu’exigeait une fabrication mêlée d’art et d’industrie, Bâle était à deux pas avec des caisses toujours ouvertes et des banquiers qui faisaient volontiers crédit à Mulhouse, pourvu qu’elle offrît quelques garanties. Un autre avantage, celui-là plus rare, c’était que les toiles peintes, d’introduction récente, n’étaient pas encore tombées dans les mains énervantes des corporations, qu’elles n’avaient ni règlemens à suivre, ni maîtrises à gagner, ni chefs-d’œuvre à produire. Elles restaient libres, tandis qu’autour d’elles aucun produit ne l’était. Que de causes pour un prompt développement ! Les chroniques du temps n’en parlent que comme d’une épidémie qui frappait toutes les classes indistinctement. C’était à qui se ferait fabricant de toiles peintes : on y allait comme on va à une loterie et comme s’il n’y avait eu que des lots gagnans. Les autres métiers, les autres commerces en étaient délaissés, on les quittait pour celui auquel la fortune semblait sourire. Des orfèvres, des boulangers, des médecins, des pharmaciens, se firent fabricans d’indiennes. Déjà les trois associés qui composaient le groupe de Samuel Kœchlin avaient formé chacun une maison distincte, et dans les dernières années du siècle Mulhouse possédait seize indienneries, sans compter celles qui avaient trouvé un avantage à se réfugier à l’ouvert des vallées des Vosges, comme dans des asiles plus sûrs.

Divers motifs y avaient contribué. Dans les villes, les libertés du travail n’avaient pas été longtemps respectées ; la république de Mulhouse elle-même était revenue sur les franchises qu’au début elle avait tolérées plutôt que reconnues. Les rivalités de métier avaient repris le dessus. Les drapiers, devenus ombrageux, se plaignaient que l’eau s’employât aux turbines de l’indiennerie, tandis qu’elle manquait à leurs foulons ; ils prétendaient en avoir de temps immémorial l’usage exclusif. Puis venaient d’autres servitudes. Pour ne pas créer, comme on disait à Mulhouse, une tribu nouvelle, on avait assimilé les indienneurs aux tailleurs en les privant de la faculté d’user du pinceau pour décorer leurs étoffes ; enfin on n’admettait pas que l’industrie des toiles peintes, déjà trop puissante, s’aidât du concours des fonds étrangers, et c’est ainsi que la maison Pourtalès de Neufchâtel éprouva des empêchemens à doter Mulhouse d’une commandite puissante. Mêmes embarras du côté de la France, dont les lois de douane troublaient incessamment les intérêts de la petite république. Toutes ces restrictions, il est vrai, tous ces vasselages de frontières tombèrent, sans laisser de traces, lors de l’incorporation définitive de, Mulhouse à la France, qui eut lieu en 1798 ; mais le mal inhérent à ces mesures empiriques était