Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Grecs ou des Juifs qui servent de drogmans dans les autres échelles d’Orient.

Un guide plus persuasif que ses confrères nous pousse dans l’Hôtel de l’Europe ; nous trouvons là quelques compatriotes, entre autres M. de G…, de la mission française des haras. A peine installé, je cours chez l’excellent M. Péretié, gérant du consulat de France : nous passons la matinée à causer de ce pays, qu’il possède à fond. Il nous montre sa riche collection d’objets d’art, ses cuivres persans à légendes koufîques, ses bronzes égyptiens et ses terres cuites phéniciennes, ses faïences mauresques aux armes des princes croisés, ses délicieuses statuettes antiques et ses médailles des Séleucides, ses bas-reliefs palmyréens et ses amulettes gnostiques aux mystérieux symboles, tout un petit monde oriental et antique de pierre, de bronze et de terre, mais un monde qui ne serait vu que par ses plus beaux côtés.

M. de G… nous promène par la ville en nous parlant de la Syrie et de la Palestine, qu’il parcourt depuis huit mois et qu’il connaît fort bien. Les bazars ont un aspect plus oriental que ceux de Constantinople ou de Smyrne, en donnant à ce mot le sens qu’il a chez nous en peinture depuis Decamps et Marilhat : ruelles étroites, enserrées de hautes maisons, voûtés, arcades, jeux de lumière et d’ombre à travers les tendidos de nattes, percées capricieuses et noires sous des pâtés de constructions, terminées par une flaque de soleil dans une cour. Le long de ces coulées de pierre, sur d’étroites et sombres échoppes de bois vermoulu, s’étalent les commerces pittoresques du Levant : montagnes de fruits disposés avec symétrie pour le plaisir des yeux, épices et aromates qui s’annoncent de loin par leurs étranges parfums, devantures pavoisées de kouffiehs, mouchoirs de soie aux couleurs vives que les Arabes drapent sur leur tête, et qu’ils y fixent avec des tresses de laine ou de poil de chameau, harnais et selles de cuir rouge aux housses éclatantes, aux larges étriers de fer. Ce commerce est à peu près restreint aux nécessités premières de la vie arabe, des vivres, des vêtemens pour le cavalier et des harnais pour le cheval. Voici cependant des joailliers qui enchâssent assez gracieusement des turquoises dans leurs bijoux de filigrane, des lapidaires qui gravent en caractères anciens sur l’onyx ou la cornaline quelque pieux verset du Coran. En dehors des bazars, les rues proprement dites sont larges, droites, à l’européenne, cordées de maisons neuves d’un style franco-arabe assez bâtard, entremêlées de figuiers, de cactus, d’acacias et de grenadiers.

Ce qui nous frappe ici, ce sont les types humains. Sous ce rapport, la différence d’aspect entre la ville turque et la ville arabe