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rayon d’espérance. La tête est penchée et à demi tournée, comme si elle regardait dans le passé ; elle a beau sourire dédaigneusement de tout ce qu’elle y a trouvé, on sent qu’elle y regrette quelque chose : elle sait la vie, en souffre et espère quand même. J’ai passé plus d’une heure à contempler ce bijou antique, me demandant où le grand artiste inconnu entrevit cette figure idéale. Était-ce un portrait ou une conception du génie ? Ne serait-ce pas Diane, la grande déesse d’Éphèse ? Je comprends alors qu’on accourût des extrémités du globe pour l’adorer.

Nous ne trouvons dans cette plaine de plusieurs lieues de tour que des matériaux dispersés, des arasemens de temples, des indications d’édifices : les quelques heures qui nous sont accordées entre deux trains ne nous laissent pas le temps d’une étude fructueuse. Nous voyons vite et sottement, comme les Américains qui nous accompagnent et demandent au vieux cicérone grec le temple de Diane, dont ils semblent surtout préoccupés. M. Wood, le patient explorateur des ruines d’Éphèse, vient enfin de le retrouver à droite de la ville, entre le mont Prion et Aya-Suluk ; ses ouvriers extraient des fouilles d’énormes colonnes cannelées de plus d’un mètre et demi de diamètre. Partout des matériaux d’une richesse inouïe, colonnes de vert antique, chapiteaux de belle brèche rosée, fûts de ce superbe granit de Syène vert et rouge qu’on retrouve dans toute l’Asie, magnifiques témoins d’une civilisation morte, moins attachans pour moi néanmoins que ces champs de pierres pulvérisées où il ne reste pas un bloc entier ; voilà l’éloquent commentaire des menaces bibliques que nous retrouverons à chacune de nos étapes dans le vieux monde : « il ne restera pas pierre sur pierre. » La parole est littérale : la folie des hommes et les sourdes fureurs de la terre ont bien fait leur œuvre. Comme dans les champs de la Crau, que ceux-ci rappellent, des chevriers font paître leurs maigres troupeaux ; assis sur les roches escarpées du mont Prion, ils semblent écouter, comme le pâtre de Virgile, écouter le bruit qu’a fait dans le monde tout ce passé disparu : le temple célèbre jusqu’aux confins de l’univers, le crime d’Érostrate, qui le brûla pour faire survivre un nom qu’ils ignorent à coup sûr, la gloire d’Alexandre, la parole de Paul, les querelles religieuses et le brigandage d’Éphèse, les invasions répétées du croissant et les hauts faits des princes latins. Que leur en chaut-il, à ces raïas, pourvu que les figuiers donnent et que les chevreaux viennent bien !

Sur les gradins à demi enfouis de ce théâtre, Paul a prêché la bonne nouvelle qui nous a faits ce que nous sommes : c’est de là que Démétrius l’argentier et la foule courroucée vinrent l’arracher pour le conduire à cette prison dont on voit les restes sur un