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enthousiasmes et parfois des déceptions du pèlerin. Obligé, par des motifs de haute convenance, à réserver mes appréciations sur les hommes et les choses de la Turquie, un peu effrayé aussi à l’idée de venir parler de cette Palestine déjà décrite avec tant de science et d’amour dans des études signées du même nom qui figure au bas de ces pages, j’ajouterai pour seule excuse qu’un séjour de quatre années en Orient me gardera contre les inexpériences d’un simple touriste, et me méritera peut-être une indulgente attention ; je pourrais dire encore qu’un récit de voyage est chez nous œuvre d’utilité publique, s’il sait inspirer aux jeunes gens de loisir et de fortune le goût des pérégrinations lointaines. Le Français ne sort plus de son boulevard, où il voit tout à son image ; on s’en aperçoit tristement dans ces contrées reculées, dont nous avons oublié le chemin et où notre langue, nos mœurs, nos idées, notre action, perdent chaque jour du terrain au profit des peuples voyageurs, et plus tristement encore chez nous, où l’on se fait des autres pays les idées les plus fausses, sinon les plus grotesques. Nous avons chèrement payé le droit de nous dire ces vérités.

Mais que voilà de gros soucis et d’inutiles excuses pour ma facile promenade ! Je souhaite simplement que ces feuilles soient pour le lecteur ce qu’elles sont pour moi par les images heureuses qu’elles font renaître, une distraction légère aux heures d’hiver, et, comme dit un poète arabe des feuilles du platane qui croît sur la source dans la solitude, des « feuilles de plaisir et de repos. »


Éphèse, 2 novembre 1872.

Nous avons quitté Constantinople le 31 octobre, sur un paquebot du Lloyd autrichien en partance pour la côte de Syrie. — Les rives monotones de la mer de Marmara, les terres plates de la Troade, les rochers de Ténédos, les vergers de Mételin et du golfe de Smyrne ont défilé tour à tour devant nos yeux. Pour la seconde fois la patrie d’Homère me reçoit au seuil de l’Asie ; la voilà bien toujours la même, coquettement couchée au pied du mont Pagus, nonchalante et molle dans son air doux. Smyrne ne mérite guère de nous arrêter ; comme la plupart des villes turques, il faudrait la voir du pont du bateau, sans descendre, pour garder ses illusions. C’est d’ailleurs une vieille connaissance, et nous comptons employer la journée de relâché à visiter les ruines d’Éphèse. Nous allons donc, hélas ! prendre le chemin de fer. J’ai bien dit : le chemin de fer, et le plus anglais des railways. Matériel, personnel, buffets, tout est anglais, on ne parle qu’anglais sur la ligne. Je laisse à penser si cette administration britannique paraît monstrueuse sous le ciel d’Ionie, et