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faut le dire, bien des amertumes de regrets, bien des aiguillons de désirs, bien des irritations sourdes, et si la misère de notre nature ne remuait au fond. » Et presque à la même date : « Dans la jeunesse, un monde habite en nous ; mais en avançant il arrive que nos pensées et nos sentimens ne peuvent plus remplir notre solitude, où du moins ils ne peuvent plus la charmer… A un certain âge de la vie, si votre maison ne se peuple point d’enfans, elle se remplit de manies ou de vices. »

Quels étaient ces manies et ces vices auxquels Sainte-Beuve s’accusait de commencer à payer tribut ? Ici encore je préfère le laisser parler lui-même et traduire par un apologue ce qu’il éprouvait quelque embarras à exprimer en termes trop clairs : « Que faites-vous, mon ami ? Vous êtes mûr, vous êtes savant, vous êtes sage, et peu s’en faut que vous ne paraissiez respectable à tous. Et voilà que la beauté vous reprend et vous tente. Vous y revenez. La jeune Clady trouve grâce à vos yeux par son sourire ; vous avez pour elle de tendres complaisances, et on l’a vue, me dit-on, à votre bras un soir, et le matin dans la voiture où vous la promeniez. Je le sais, mon ami, je me sens bien vieux déjà, on me dit savant plus que je ne le suis, et je voudrais être sage ; mais ne le suis-je pas du moins un peu en ceci ? Clady est belle ; elle est jeune ; elle me sourit. Je la regarde ; je ne fais guère que la regarder, mais j’y prends plaisir, je l’avoue ; j’aime à la voir près de moi, à la promener un jour de soleil, et, en la voyant là riante, qu’est-ce autre chose ? Il me semble qu’un moment encore je fais asseoir ma jeunesse à mes côtés. »

Ainsi Port-Royal et Pascal comme sujet de graves et constantes préoccupations, le salon de M. Molé et de préférence celui de Mme d’Arbouville comme lieu de rafraîchissement et de prédilection ; entre deux, des promenades tardives ou matinales avec la jeune Clady, telle était l’existence de Sainte-Beuve à la veille du jour où la révolution de février vint bouleverser ces habitudes tranquilles et le jeter dans un nouveau courant. Cette troisième phase de la vie de Sainte-Beuve sera l’objet d’une prochaine et dernière étude.


OTHENIN D’HAUSSONVILLE.