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littéraires. Sainte-Beuve est de ces derniers, qui sont aussi les plus attachans. Ce serait s’exposer à le mal comprendre et à le mal juger que de négliger, dans l’appréciation de ses ouvrages, ce qu’il est possible de savoir, ce qu’il est permis de raconter de sa vie. J’essaierai donc auparavant d’indiquer de quel concours de circonstances sont sortis les deux premiers volumes de Port-Royal.


III

Lors de la publication de Volupté, Sainte-Beuve avait trente ans. Il était arrivé à cet âge (lui-même l’a écrit quelque part) « où la vie se partage, et où la jeunesse commence à nous faire décidément ses adieux. » Si brillante que sa destinée pût paraître dès cette époque à de moins ambitieux que lui, je doute cependant que, dans ses heures de recueillement et de réflexion solitaire, les perspectives de son avenir parvinssent à le satisfaire complètement. Il ne pouvait guère voir sans tristesse s’évanouir en fumée quelques-uns des rêves qu’il avait caressés. Il avait cru à son génie poétique, et la poésie l’avait trahi. Il avait vu ses anciens collaborateurs du Globe conquérir la célébrité par l’action et l’exercice du pouvoir : moins heureux, moins hardi peut-être, les événemens l’avaient laissé sur le rivage où il les avait vus s’embarquer. Son ami d’un jour et son directeur au National, Armand Carrel, était parvenu à son tour à la popularité par la polémique et par l’opposition républicaine. L’opposition républicaine l’avait déçu à son tour, et il avait dû se dérober à la tyrannie domestique de ses amis trop exigeans de la liberté. La littérature, qui se l’était vu disputer par la politique, l’avait alors repris, mais sans parvenir à le consoler de tous ses mécomptes. Le succès intime, discret, contesté, de Volupté n’avait rien qui pût lui faire oublier d’autres déceptions, et il dut s’avouer parfois qu’Amaury faisait assez modeste figure entre Lélia, sur laquelle tout le monde avait encore les yeux fixés, et Jocelyn, qui allait bientôt détourner les regards sur lui. Trouvait-il au moins dans sa vie intime ces joies et ces consolations du cœur que l’ambition de l’homme dédaigne imprudemment tant que la Providence les lui prodigue, et dont il ne sent parfois tout le prix qu’après se les être vu enlever ? Ce qu’il est permis de dire et de savoir, ce qui du reste apparaît dans les lettres de Sainte-Beuve à l’abbé Barbe, et ce que m’ont transmis des témoignages directs recueillis de sa bouche même, c’est que les deux ou trois années qui ont suivi la publication de Volupté, de 1834 à 1837, marquent dans l’existence romanesque de Sainte-Beuve la période la plus agitée et la plus douloureuse. Ce ne fut point par un lent détachement, ce