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semblent parfois à la veille de s’engager. Peut-être leur faudra-t-il se résigner un jour à ce dernier sacrifice ; mais leur rêve du moins aura été assez beau pour qu’ils n’aient ni à en rougir ni à le désavouer.

Jusqu’à quel point Sainte-Beuve a-t-il suivi l’abbé de Lamennais dans cette voie ? Quelle a été la mesure de son adhésion à la doctrine elle-même ? C’est un point assez délicat à éclaircir. On a beaucoup dit qu’il avait collaboré à la rédaction de l’Avenir. Il s’en est toujours défendu, et je ne vois pas qu’il y ait lieu de mettre en doute la véracité de ses assertions ; mais il est certain qu’avec Lamennais lui-même la liaison une fois nouée devint bientôt très intime. « Avec lui, a dit Sainte-Beuve, on n’était jamais lié à demi. » D’affinités et de ressemblances entre leurs deux natures, il n’y en avait cependant aucune ; leur point de départ était aussi différent que possible. Lamennais était né apôtre, c’est-à-dire qu’il avait, au milieu de sa mobilité, une foi profonde dans sa doctrine du moment, et qu’il savait trouver pour l’exprimer des accens convaincus, pénétrants, qui portaient dans l’âme de ses auditeurs l’émotion en même temps que la foi. Sainte-Beuve au contraire était né disciple, c’est-à-dire que toute conviction fortement exprimée par une nature qu’il sentait plus vigoureuse que la sienne pénétrait rapidement dans son esprit et en imprégnait la surface. Aussi Sainte-Beuve n’a-t-il pas indiqué très exactement la nature de cette relation lorsqu’il a dit « qu’il s’était prêté à Lamennais et qu’il lui avait rendu de bons offices littéraires. » Lamennais, à cette époque la plus brillante de sa vie, n’avait besoin des bons offices de personne, et les articles que Sainte-Beuve lui consacrait en 1832 ne sont point écrits sur ce ton d’égalité et presque de protection que Sainte-Beuve prenait après coup. Je dois dire cependant qu’à mon sens l’influence de Lamennais s’exerça plutôt sur les sentimens que sur les opinions de Sainte-Beuve. C’est le propre des esprits hésitans et sceptiques de n’abjurer leur scepticisme et leurs hésitations qu’au profit d’une doctrine tranchée et absolue. Ils ne parviennent généralement à s’arracher à leurs doutes que pour adhérer à un symbole dont tous les articles soient étroitement soudés comme les anneaux d’une chaîne et ne laissent s’échapper aucune des mailles du réseau. La doctrine catholique et libérale, telle qu’elle se traduisait dans les articles de l’Avenir sous la plume de l’abbé de Lamennais et de ses principaux disciples, n’avait rien de ce caractère fixe et rigide ; elle était sur certains points encore incertaine et mal définie, sur d’autres obligée à bien des tempéramens, ne fût-ce que pour concilier les anciennes professions de foi ultramontaines de l’abbé de Lamennais avec l’opposition non encore déclarée, mais