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numens du génie humain, qu’on oublie malgré soi un présent quelque peu stérile en face d’un passé si riche et si fécond, et qu’on lui pardonne d’ajouter : « Ce drame de vingt-cinq siècles auquel nous venons d’assister, si varié de scènes et de personnages, nous a permis de voir avec une joie consolante que dans notre race ne s’est pas affaiblie cette vertu créatrice si bien propre à faire avancer les arts et les sciences, qui est surtout le caractère de la nation sicilienne, que pendant tant de siècles cette pointe d’esprit dont parlait Cicéron ne s’est pas émoussée, que nous avons gardé constamment cet esprit de sage tempérament qui est le cachet de la philosophie en Sicile, grâce auquel elle sut toujours corriger les excès des systèmes et maintenir l’harmonie entre les extrêmes… Empédocle, dans les temps antiques, rapprocha dans un juste accord ioniens et éléates ; sous le règne de la scolastique nombre de nos philosophes surent concilier péripatéticiens et platoniciens, thomistes et scotistes ; à l’âge moderne, corriger Descartes et Leibniz. Aujourd’hui encore nous savons unir et fondre ce qu’il y a de bon et de solide dans l’idéalisme et le sensualisme, dans le panthéisme et le matérialisme, dans le traditionalisme et le rationalisme, et en former une philosophie large et compréhensive qui respecte en même temps les droits de la raison et ceux de la foi, la conscience individuelle et les croyances du genre humain, qui se garde à la fois de la routine et des nouveautés aventureuses, une philosophie qui soit chose vivante et non morte, spéculative et pratique en même temps, contemplatrice passionnée du vrai et opératrice du bien. » — « En écrivant cette histoire, dit M. di Giovanni, on m’accordera que je n’ai pas appliqué mes faibles forces à un indigne objet. Je veux pouvoir dire avec Fazzello que ce qui allège le sentiment de ma faiblesse, c’est qu’à défaut d’autre honneur il me suffit d’avoir répandu un peu de lumière sur ma patrie et sur nos ancêtres. » Que M. di Giovanni, pour être complet, se soit arrêté sur des noms et des œuvres de valeur contestable, que toutes les parties de son livre n’aient pas pour un étranger un égal intérêt, que nombre de ses pages témoignent d’un zèle exclusivement sicilien, il faut le reconnaître. Mais pour qui a vu cette belle terre de Sicile et sait quelque chose de son histoire, cet amour passionné qui rattache le présent au passé est un sentiment trop naturel et trop noble pour qu’on ose le blâmer sévèrement. En publiant ces annales de la philosophie en Sicile, M. di Giovanni en somme n’a pas seulement honoré son pays, il a rendu un signalé service aux chercheurs et nos érudits de l’Europe cultivée.

B. Aubé.