Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
REVUE. — CHRONIQUE.

sualisme grossier ou un scepticisme frivole, avant même que Kant eût mis au jour la philosophie critique. C’est un phénomène digne d’être remarqué, que cette sorte de résurrection de l’éléatisme, d’un éléatisme mystique et chrétien dans la patrie d’Empédocle à la fin du XVIIIe siècle.

Du vivant de Miceli et surtout après sa mort, Montréal devint le foyer le plus intense de la haute culture philosophique en Sicile. Les disciples de Miceli, Barcellona, Rivarola, Zerbo, Guardi, Paul Bruno, tous ecclésiastiques comme lui, mais unissant une juste liberté d’esprit à une foi sincère, expliquèrent, propagèrent et défendirent sa doctrine, et retardèrent peut-être l’invasion du sensualisme condillacien en Sicile. Déjà en France, grâce à l’influence des psychologues écossais, les idées sensualistes perdaient peu à peu du terrain. Tedeschi fut en Sicile le représentant le plus illustre et le plus écouté de cette idéologie spiritualiste dont Laromiguière était chez nous l’interprète un peu timide. L’enseignement de Victor Cousin, qui s’efforçait de concilier Platon, Descartes, Leibniz et Thomas Reid, la haute spéculation et le sens commun, les données de l’expérience et celles de la raison, trouva dans Mancino un sage et judicieux imitateur. M. di Giovanni, dans un appendice de son second volume, a publié quelques lettres échangées entre le chef de l’école éclectique française et le professeur de l’université de Palerme qui sont fort curieuses. On y voit Victor Cousin empressé à étendre au loin cette maîtrise intellectuelle qui, en France, eut parfois les allures d’une dictature un peu jalouse, la facilité de ses scrupules, son goût de l’autorité et en même temps de la paix, ses précautions pour éviter les attaques et jusqu’aux soupçons de l’église, ses professions de respect pour l’enseignement catholique’et son souci d’effacer ou d’atténuer tel ou tel passage de ses écrits qui pouvait donner lieu aux accusations de germanisme et de panthéisme hégélien. Si l’on changeait par la pensée le nom du correspondant de Victor Cousin, et qu’on supposât que cet échange de lettres eût eu lieu avec Miceli, on croirait vraiment, à voir la hardiesse spéculative de l’un, l’esprit timoré et les scrupules de l’autre, que c’état Victor Cousin qui portait le rabat du prêtre.

Dans ses trois derniers chapitres, M. di Giovanni passe en revue les nouveaux thomistes ou traditionalistes dont le père Ventura, né à Palerme, fut un des plus illustres représentans, les ontologistes, dont il étudie avec soin le dernier interprète, d’Acquisto, libre héritier du génie spéculatif de Miceli, enfin les historiens de la philosophie, Mongitore, Domenico Scina et Narbone. M. di Giovanni, par l’œuvre dont nous parlons ici et par nombre de savans écrits et d’importantes monographies, mérite bien qu’on ajoute son nom à ceux des historiens philosophes de la Sicile. Il a terminé son ouvrage par quelques pages qui ont l’éclat et l’accent d’un hymne en l’honneur de sa belle patrie. Il y met en si vif relief le travail de quatre civilisations, tant d’œuvres d’art, tant de mo-