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REVUE. — CHRONIQUE.

ni Giordano Bruno, ni Campanella, ne paraissent avoir eu d’influence, sur Ja direction des esprits en Sicile. C’étaient, il est vrai, plutôt de brillantes individualités que des chefs d’école ; c’étaient des agitateurs d’idées plutôt que des guides et des initiateurs véritables. Plusieurs même paraissaient n’avoir secoué le joug d’Aristote que pour embrasser l’idéalisme transcendant des néo-platoniciens ; d’autres associaient au positivisme épicurien les chimères de l’astrologie ou de l’alchimie.

La philosophie de la renaissance avait été tout italienne. La philosophie moderne est presque exclusivement française en Italie même et en Sicile. Galilée sans doute peut être mis en face de Descartes. C’est un génie de même ordre, aussi pénétrant, quoique moins étendu ; mais c’est un grand savant et non un chef d’école. Il a élargi la sphère de l’observation physique, il a par son exemple enseigné à laisser les textes pour interroger le grand livre de la nature, il a fait de belles découvertes : on ne peut pas dire qu’il ait produit ni un système nouveau ni un mouvement d’idées philosophiques original. Fortunato Fideli et Alphonse Borelli, mathématiciens et physiologistes siciliens, et dont le dernier paraît avoir fondé la statique animale, sont rattachés par M. di Giovanni à l’enseignement de Galilée. Le savant professeur de Palerme veut dire sans doute qu’ils portèrent dans leurs recherches la liberté d’esprit et la méthode que Galilée avait pratiquées. Cette liberté d’esprit et cette méthode ne constituent pas à proprement parler une école. Fardella de Trapani, qui enseigna à Padoue vers 1700, peut, à plus juste titre, ce semble, être considéré comme cartésien. Encore en effet qu’il n’ait pas vu dans la doctrine de Descartes le dernier mot de la philosophie, il n’a pas laissé cependant de s’en porter l’interprète et le défenseur, et a surtout embrassé sa méthode avec zèle. M. di Giovanni restitue au cartésianisme sicilien un de ses plus fermes disciples dans la personne de Thomas Campailla et cite plusieurs beaux passages de son poème philosophique intitulé Adam ou le Monde créé, qui sont en effet de pure inspiration cartésienne. Jusqu’à la mort de Campailla (1740), le cartésianisme, bien que suspect dans les écoles de la compagnie de Jésus, domina en Sicile. C’est à ce moment que les idées de Leibniz commencèrent à s’y introduire. En 1750, les bénédictins de Saint-Martin professaient publiquement les doctrines de Leibniz, déjà répandues dans les principales écoles de l’île, à Palerme, à Catane, à Cephalù et à Montréal. Déjà, vers 1730, Muratori regrettait que Campailla se fût mis aussi servilement sous la tutelle de Descartes : Dico bene che gli uomini grandi corne il signor Campailla hanno da mettersi in maggior liberta di pensare ; e certo é che oggi é cadula di pregio oltramonti la si famosa scuola cartesiana.

Le marquis de Natale fit pour la doctrine de Leibniz ce que Campailla avait fait pour celle de Descartes. Il l’exposa en vers. C’était une