Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 7.djvu/237

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Bismarck se mêle à tout. Voilà donc ce grand procès fini, du moins pour le moment, par une condamnation bénigne infligée à l’ancien ambassadeur d’Allemagne à Paris. Ce n’est, il est vrai, que le premier acte, puisqu’il y a un appel et que l’affaire doit se dérouler de nouveau devant un tribunal supérieur ; mais ce n’est plus là qu’un supplément judiciaire. Politiquement l’affaire est finie ; elle a révélé à peu près tout ce qu’elle pouvait révéler, elle a divulgué les secrets qu’on gardait, elle a mis l’Europe et la France dans la confidence de la diplomatie allemande.

Qu’a-t-il définitivement produit, qu’a-t-il révélé, ce singulier procès au caractère énigmatique ? Les Allemands semblent se figurer qu’il a une importance démesurée pour nous et croient qu’il a excité une émotion extraordinaire en France ; ils prennent pour un intérêt passionné et universel le bruit de certains journaux qui se sont tristement ingéniés à chercher dans toutes ces dépêches mises au jour des armes de polémique et de parti. En réalité, le procès d’Arnim, avec ses divulgations, n’a rien changé pour nous. Est-ce que nous avions besoin de cela pour savoir que la France était dans une situation aussi difficile que délicate ? Est-ce que nous pouvions ignorer que M. de Bismarck avait pour nous des attentions particulières, qu’il suivait avec une sollicitude quelquefois menaçante nos moindres mouvemens ? Que M. d’Arnim soit plus ou moins favorable au rétablissement de la monarchie en France, que M. de Bismarck juge à sa manière les chances de la république, cela ne nous dit rien. Tout ce que nous avons pu apprendre de plus neuf, c’est que, si un antagonisme si violent a éclaté entre l’ancien ambassadeur à Paris et le chancelier de Berlin, ce n’est point sûrement parce qu’ils différaient dans leurs sentimens peu bienveillans à l’égard de la France. M. d’Arnim mettait même dans ses dispositions des raffinemens étranges en cherchant des combinaisons de nature à multiplier les occasions de griefs pour l’Allemagne.

Cependant il reste toujours une question. Pourquoi M. de Bismarck s’est-il jeté dans cette aventure ? Quel intérêt a-t-il vu pour sa position personnelle comme pour l’Allemagne dans tout ce bruit, dans toutes ces divulgations ? Que M. de Bismarck soit de force aujourd’hui à tout braver, à se mesurer avec toutes les hostilités, avec toutes les difficultés, soit ; il n’est pas moins vrai que toutes ces dépêches, par ce qu’elles disent, par ce qu’elles laissent entendre, font un rôle singulier à l’empereur Guillaume, surtout à l’impératrice Augusta, dont les sentimens pour le chancelier ne sont point un mystère, et que ce sont là d’assez étranges conditions pour un premier ministre. M. de Bismarck prodigue la lumière et laisse tout divulguer, c’est fort généreux à lui. Nous ne demandons pas mieux que de savoir qu’un Allemand, même un ambassadeur, au milieu de la société française, ne peut pas avoir le