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Au bout du compte, c’est l’empire qui a reparu dans l’assemblée sous la figure d’un comité bonapartiste, hier encore poursuivi, se recommandant aujourd’hui de l’appel au peuple, et ayant pour défenseur M. Rouher, l’ancien ministre d’état. M. Ricard avait évoqué contre le bonapartisme le vote presque unanime de déchéance qui se lie au vote douloureux de la paix. Oui, et c’est là ce qu’il y a de plus caractéristique, sans doute aussi de plus triste. Il y aura bientôt quatre ans que l’empire perdu par ses fautes, évanoui dans les catastrophes, recevait le dernier coup d’une condamnation légale, nationale, contre laquelle s’élevaient cinq voix seulement dans l’assemblée. Il y a deux ans à peine, M. Rouher, ayant à défendre l’administration impériale contre les accusations ardentes de M. d’Audiffret-Pasquier, avait besoin de toute sa dextérité pour se faire écouter, et maintenant, s’il intervient dans une discussion, il se fait à son tour accusateur. De la condamnation prononcée par l’assemblée, il en appelle au peuple, comme si le jugement était à réviser. Il parle habilement, nous ne le contestons pas, mais aussi avec des hardiesses de provocation bien étranges qui donnent la mesure du chemin qu’on a fait depuis dix-huit mois. En vérité M. Rouher se sent assez fort dans l’assemblée pour rappeler ceux qui l’écoutent ou l’interrompent « à la pudeur, » et il s’est laissé aller jusqu’à défier de mettre en cause les hommes de l’empire, — dont le pays n’a pas oublié les noms, assure-t-il. M. Rouher a bien raison de croire que le pays n’a pas oublié ces noms : ils représentent pour lui la guerre du Mexique, les connivences de 1866 qui ont préparé les désastres de 1870, la désorganisation militaire qui a conduit à la perte de deux provinces : ce sont là de singuliers titres à la reconnaissance publique et à ces réparations sur lesquelles M. Rouher semble compter !

Que s’est-il donc passé pour que l’empire, frappé d’une déchéance solennelle, s’attribue le droit de parler si haut et revendique aujourd’hui son rang parmi les prétendans au gouvernement de la France ? Voilà ce qu’on devrait se demander après cette étrange séance où l’ancien ministre d’état a saisi l’occasion de relever le drapeau de l’empire. La raison de cette recrudescence impérialiste, plus bruyante sans doute que sérieuse, est bien simple. Le bonapartisme a profité non-seulement des fautes qu’on a commises, des avantages d’administration dont on a payé son concours en certaines circonstances, mais encore de ce provisoire qu’on se plaît à maintenir, où on lui a fait une place, où un gouvernement est réduit à compter avec tout le monde pour vivre. Et maintenant, après avoir entendu M. Rouher, croit-on que ce soit du superflu ou de la fantaisie de vouloir assurer aux pouvoirs publics, avec la fixité constitutionnelle, le droit de se défendre, de ne pas se laisser perpétuellement contester ? Est-ce qu’un gouvernement peut vivre au milieu de tous ces partis qui se partagent déjà ses dépouilles, qui sont sans cesse occupés à le représenter comme l’introducteur de l’empire ou de