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M. le maréchal de Mac-Mahon est évidemment obligé de renouveler son ministère, et c’est peut-être sous l’influence de cette préoccupation qu’il vient de réunir à l’Elysée les représentans les mieux accrédités des diverses opinions modérées, M. Dufaure et M. le duc de Broglie, M. Buffet, M. Bocher et M. Léon Say, M. d’Audiffret-Pasquier et M. de Kerdrel avec M. le duc Decazes et M. le général de Chabaud-Latour. C’est la première fois, si nous ne nous trompons, que M. le président de la république réunit un de ces conseils extraordinaires où des hommes du centre gauche sont appelés. C’est tout au moins la preuve qu’il y a chez lui une certaine impatience, le vif sentiment de la gravité de la situation et de l’impossibilité de prolonger une incertitude qui finit par rendre tout impossible, l’action régulière des pouvoirs publics aussi bien que l’apaisement du pays.

Cette démonstration de la nécessité d’en venir à une solution décisive, elle se révèle à chaque pas, dans toutes les affaires. Elle a éclaté l’autre jour à l’improviste dans cette courte session où l’on a bien cherché pourtant à éviter tous les conflits, et où les partis se sont trouvés brusquement aux prises à propos de l’élection de M. de Bourgoing dans la Nièvre. L’élection remonte à plus de six mois, elle n’a été examinée que récemment parce qu’elle se compliquait de l’affaire d’un comité bonapartiste siégeant à Paris et soumis à une instruction judiciaire qui a été dénouée par une ordonnance de non-lieu. M. le garde des sceaux, sans doute pour aplanir les choses ou pour amortir le débat, a commencer il est vrai, par déclarer assez naïvement que le ministère n’avait pas d’opinion, qu’il se désintéressait de la discussion. N’importe, la lutte, ou, si l’on veut, l’escarmouche a été un instant des plus animées, des plus instructives, élite a été l’occasion d’un discours très vif de M. Ricard, d’une intervention de M. Rouher, et elle a laissé voir dans un éclair le fond d’une situation politique. Ici, à parler franchement, il y avait deux questions. Il y avait d’abord cette instruction judiciaire qui a été suivie d’une ordonnance de non-lieu, et sur ce point M. Tailhand, en refusant de communiquer un dossier de justice, a obéi à de légitimes scrupules que la commission, de l’assemblée a eu raison de respecter. L’assemblée n’est nullement un tribunal. Par cela même qu’elle est omnipotente, elle est souvent sur le point, presque sans le vouloir, de dépasser la limite des attributions parlementaires. Prétendre interroger des actes judiciaires, les secrets d’une instruction, c’était tout au moins le commencement d’une certaine confusion de pouvoirs dont on devait éviter jusqu’à l’apparence. Les scrupules de M. le garde des sceaux fussent-ils excessifs, la commission de l’assemblée a sagement fait de ne point insister ; elle est restée dans son rôle en se bornant Il proposer une enquête parlementaire qui a été votée, et tout a été dit ; mais ce n’est là qu’un côté de cette discussion, dont l’intérêt reste évidemment tout politique.