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marchera, mettra Satsporo en communication avec Paris et Londres ; celui-ci entreprend une reconnaissance géologique dans des pays entièrement nouveaux, celui-là dirige les sondages d’une mine de charbon ; c’est surtout du côté des mines que se tourne leur attention. Chacun déploie dans sa tâche une ardeur qui fait honneur à l’Amérique et que j’ai entendu comparer, non sans quelque malice peut-être, au zèle d’un neveu chargé de bâtir une maison pour un oncle très riche et sans enfans.

A peine a-t-on quitté Satsporo qu’on rentre sous bois. Qui donc avait dit qu’à Yézo il y a beaucoup de forêts ? C’est une locution vicieuse. Il n’y en a qu’une ; seulement elle couvre toute l’île. Pendant 150 ris, je n’en suis pas sorti. La route d’Hakodaté, que je reprends, a la même largeur réglementaire qu’au sortir de cette ville ; mais, comme elle circule à travers un sol volcanique et suit très habilement les crêtes des collines, elle est excellente et offre de temps à autre de jolies éclaircies sur les fonds environnans. Quelques petites clairières sont défrichées et mises en culture. Shimamap n’est qu’un relais établi par le kayetakushi à 7 ris de Satsporo ; voilà la première auberge que j’aie vue sans une seule femme. A Setoshé, 4 ris plus loin, on se retrouve en plein village aïno, sauf la tchaïa. Quelques maisons de bois ont été mises à la disposition des indigènes, mais ils s’en servent seulement comme de magasins et préfèrent vivre dans leurs huttes de feuillage, moins froides en hiver. A 10 ris au-delà, on se retrouve sur le bord de la mer ; là les Aïnos habitent les maisons de planches, mais ils les tapissent intérieurement de feuillage. Ceux-ci pêchent le hareng et la sardine, qui servent à faire de l’huile. La route en cet endroit fait un coude brusque et suit le littoral au milieu d’une plaine de pierre ponce recouverte de maigres ronces, empiétement formé sur la mer par les éruptions volcaniques. On atteint ainsi Shiraoi, la plus importante station d’Aïnos de toute cette côte, qui en renferme plus de 400 ; quelques Japonais leur débitent des liqueurs fermentées. Ceux-là, hélas ! se ressentent de leur contact avec la civilisation et la grand’route, ils savent la valeur du rio, et l’un d’eux vide ma gourde de cognac en vrai connaisseur. Ils sont du reste aussi doux, aussi bienveillans que ceux de l’intérieur et paraissent moins misérables. Enfin à Horobits on rencontre les derniers.

Il ne reste plus que 5 ris à faire pour gagner Shin-Morran au bord de la petite baie d’Endermo. Cette baie est formée par un massif important, couvert d’une belle végétation que le soulèvement du sol a réuni à la côte ferme par une ligne de sable gracieusement recourbée. La falaise forme ainsi à l’abri du vent de sud-ouest une