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les environs l’apparence d’une cuve ou d’un ustensile d’ablution quelconque. Ne va-t-on pas prendre pour une épigramme le cadeau d’un miroir que je tire de ma trousse pour la jeune fille, n’ayant pu faire agréer au père ma monnaie de papier, qu’il ne connaît cas ? Non ; le miroir produit une admiration muette, mais sans réserves. Je prends congé de ces braves gens, doucement indifférens, et m’éloigne de cette demeure, qui restera dans mes souvenirs comme le type parfait de l’existence sauvage.

Nous voici remontés en canot, redescendant le Setoshi-gawa jusqu’à Ishikari, puis le fleuve lui-même jusqu’à Tobets. Le temps me manque pour pousser plus loin l’exploration du cours supérieur, et je reviens pendant plusieurs heures sur mes pas. A Tobets, nous commençons à remonter le Tsushikari-gawa, qui doit mous conduire à Satsporo. C’est une jolie rivière ombragée d’aulnes, d’ormes, de peupliers, qui se penchent sur les eaux de manière à nous faire un berceau, sous lequel on s’enfonce pour éviter, en rasant le bord, les tourbillons du centre, malheureusement le courant est très fort et retarde singulièrement notre marche. On rencontre à chaque instant des troncs d’arbres détachés par l’averse torrentielle de la veille, qu’il faut éviter pour n’être pas culbutés, nous et notre pirogue. Une pagaie se casse entre les mains d’un batelier : ; nous pirouettons comme urne toupie, puis nous sommes jetés le long du bord, où l’on se retient aux branches des arbres. Un canot qui descend nous cède une pagaie ; nous repartons, mais péniblement. Enfin une clairière s’étant offerte, tout le monde met pied à terre pour déjeuner autour d’un feu de bivouac. Pendant que s’accomplit cette opération, toujours grave et souvent problématique, je surveille du coin de l’œil la rivière qui me semble grossir d’instant en instant ; peu à peu elle envahit la clairière où nous sommes et vient éteindre le feu où chauffe le café. Un chasseur débouche en ce moment d’une oseraie qui nous entoure ; j’apprends que nous ne sommes qu’à 2 ris 1/2 de Satsporo, et qu’un sentier y conduit au sortir de l’oseraie.

Il n’y a pas à hésiter. Le courant entraîne de lourds châtaigniers qui, avec tours racines et leurs branches, nous balaieraient comme une plume ; on tire la pirogue à terre, où elle est attachée ; on dépèce une natte qui en garnissait le fond pour en faire des cordes de paille ; mes trois sindos se distribuent mon modeste bagage, qu’ils attachent sur leur dos, et nous nous enfonçons à travers l’oseraie. Ce bois ressemble au repaire du lion malade : on voit comment on entre, on ne sait pas comment on sort ; il est cependant urgent d’en sortir, car il ne va pas tarder à être inondé ; nous gagnons enfin un prétendu sentier qui ne se révèle qu’à l’œil exercé d’un naturel du