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IV

L’Ishikari-gawa passe pour le plus long cours d’eau du Japon ; le bassin de ce fleuve est égal en superficie à celui de la Tamise. Large à l’embouchure de 250 mètres, il coule au milieu d’une vallée aussi vaste que celle de la Seine à Tancarville. Il prend sa source dans une des montagnes centrales de l’île, la plus haute d’un groupe appelé l’Ishikari-yama, par 40 degrés de latitude nord et 139 degrés de longitude orientale, et coule dans une direction générale du nord-ouest au sud-est sur une longueur de 112 lieues. Le capitaine Bridgeford, à qui j’emprunte ces chiffres, est le premier Européen qui ait surmonté les difficultés de ce parcours ; il en a donné la relation à la Société asiatique du Japon. « Pendant 30 milles, le fleuve coule rapidement, dit-il, entre de hautes parois de basalte, souvent perpendiculaires et quelquefois très hautes. Il franchit des barrages naturels qui en rendent la navigation impossible même pour un canot d’Aïno. Grossi par le Rubespic, le torrent bondit avec une vitesse de 12 à 18 milles à l’heure à travers 73 rapides, entre dans la plaine supérieure de Kami-kawa, puis s’enfonce dans la gorge inaccessible de Kamoyi-kotan (le séjour des dieux), pour retomber dans la plaine inférieure de Satsporo, 100 milles avant d’arriver à la mer, où il n’est plus qu’un pacifique cours d’eau navigable pour les jonques. »

En face du village d’Ishikari sont établies de grandes pêcheries pour la conservation du saumon, et trois jetées qui malheureusement ne servent à rien, car la barre du fleuve empêche les navires calant plus de 7 pieds d’y entrer. C’est dans un esquif infiniment, moins lourd qu’il faut prendre place pour remonter un peu loin. Ma pirogue, manœuvrée par deux sindos japonais, est faite d’un tronc d’arbre creusé et légèrement relevé aux deux extrémités. Deux Aïnos peuvent en deux jours mettre à flot un de ces canots, larges de 50 à 60 centimètres et longs de 6 ou 7 mètres, qui se manient à la pagaie. Couché au fond, il faut rester immobile pour ne pas chavirer et renoncer absolument à changer de place avec le voisin. Cette embarcation, combinée pour offrir le moins de prise possible au courant, circule avec dextérité au milieu des troncs d’arbres charriés par les eaux et déposés sur le limon. Les dernières maisons d’Ishikari ont disparu ; nous longeons sur la rive gauche un marais couvert de roseaux, tandis que le fleuve creuse son chenal le long de la banquette élevée sur la rive droite. Nous ne rencontrons d’abord d’autres êtres vivans que des troupes innombrables de mouettes gravement établies en conciliabule sur les débris qui