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où fume le bois vert. Une femme est accroupie auprès ; devant la porte, des enfans nus et des hommes aux cheveux incultes. C’est là un hameau de pêcheurs. Pour la première fois j’ai été offusqué par la malpropreté, et nous sommes cependant encore chez les Japonais, parmi ceux qui, comparés aux aborigènes, se considèrent comme la race supérieure ; que sera-ce demain ? Ce qu’on appelle un village est la réunion de plusieurs de ces cabanes autour de quelques baraques en planches de peuplier, que domine une grande maison au toit lourd, au portique surbaissé, aux boiseries noirâtres. Cette vaste construction sert à la fois de magasin, de poste aux chevaux, d’auberge et de maison de ville. Au moment où nous arrivons à Toshibé, une réunion des fortes têtes de l’endroit discute vivement sur une instruction du gouverneur que vient de lire un vieux barbon à lunettes de corne. On se passe le grimoire de main en main, car on ne s’entend pas sur le texte. Il n’est pas rare de rencontrer à l’entrée de ces villages une petite guérite où sont placées quelques statuettes de pierre grossièrement taillées, ébauche informe de quelque divinité ; elles sont couronnées de fleurs, enguirlandées d’oripeaux rouges ou blancs. C’est à peu près le seul vestige extérieur du culte qu’on rencontre ; que pourrait-on voir de plus chez une population si misérable ?

Jusqu’ici nous sommes restés au milieu des Japonais, et si l’œil est frappé de leur taille plus élevée que celle des habitans du Nippon, de leur face moins expressive, de leur teint moins foncé, de la laideur inusitée des femmes, il retrouve cependant les caractères généraux de la race modifiés légèrement par l’influence du climat et du régime. Quelque temps après la borne indiquant le 19e ri, nous entrons au crépuscule à Urap, au milieu d’un village d’Aïnos. Il est trop tard pour pénétrer dans leurs huttes, que rien n’éclaire, et dont la construction ne diffère pas sensiblement de celle des cabanes de pêcheurs japonais. La seule chose qui frappe, c’est l’appentis qu’ils désignent du nom pompeux de kura (magasin). C’est un simple toit de chaume fort bas, supporté par huit piliers de bois, qu’on peut entourer de nattes. Sous ce hangar, on place les filets, les provisions, les ustensiles superflus, le tout est confié à la garde de chiens semblables à des ours, qui font un accueil fort maussade à l’étranger ; mais nous ne faisons que traverser les huttes éparses sans ordre sur les dunes du rivage pour nous rendre au village voisin, où nous trouvons dans un nouveau phalanstère japonais, en tout semblable à celui de Toshibé, un repos bien mérité après 80 kilomètres parcourus à cheval.

Le lendemain, de bonne heure, je retourne au village aïno, avide d’observer cette existence sauvage qui se continue obstinément à