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Mori est un village de médiocre importance, assis dans les débris du volcan, sur le bord du large golfe auquel la montagne a donné son nom. C’est là que s’arrête brusquement la route nouvelle ; elle se termine dans la mer par une estacade qui sert d’embarcadère pour regagner, après 15 lieues de mer, l’autre tronçon de route à Shin-morran ; mais ce sera ma route de retour, car mon objectif, c’est de remonter tout d’abord le long de la côte. Après un déjeuner de poisson et de riz arrosé d’excellent saki, on nous amène de nouveaux coursiers. Le mien engage une lutte dont j’ai grand’peine à sortir vainqueur. N’espérez rien obtenir de ces chevaux par les procédés ordinaires ; le mors ne fait que les gêner sans les diriger, la cravache vole en pièces inutilement sur ce cuir épais couvert d’un poil vierge, et quant à l’éperon, ceux qui le sentent le prennent pour un taon et donnent de grands coups de pied ou de tête pour chasser l’importun. Si après bien des efforts vous obtenez une certaine rapidité, ce ne sera qu’en vous soumettant au. roulis d’un trot déhanché ou aux secousses désordonnées d’un lourd galop de charge. Tel est le seul mode de transport connu dans le pays.

A Mori seulement commençait pour moi le vrai voyage. Jusque-là rien ne différait du Japon connu. Nous suivons maintenant l’unique voie de communication entre Mori et la côte ouest. C’est un sentier vague qui erre à travers la lande inculte ; toutes les fois que la forme du rivage le permet, il gagne le sable de la plage et circule entre les rochers et les vagues le long de la baie. De ponts sur les cours d’eau, il n’en existe pas. Les gués ne sont pas très profonds dans cette saison ; néanmoins l’eau nous monterait aux genoux, si nous ne posions les pieds sur le cou des chevaux, très familiers du reste avec cet exercice. De leurs sabots nus, ils trébuchent sur le gravier. Il paraît qu’en hiver et au printemps chevaux et cavaliers sont obligés de se mettre à la nage, le passage est même quelquefois complètement impossible. Du reste, point de chance de s’égarer : d’un côté la forêt inaccessible, de l’autre la mer ; pas un sentier qui vienne croiser celui que nous devons suivre. Et c’est là une route, la seule route de terre ouverte jusqu’au centre de Yézo. Il n’y a pas à s’y tromper : les bornes placées de ri en ri prouvent assez que cette sente est regardée comme un chemin. Par une étrange ironie, on voit de loin en loin les poteaux d’un futur télégraphe !

Voici un premier groupe d’habitations ; ce sont des cabanes de roseaux liés en gerbe et amoncelés avec tout leur feuillage ; la porte est représentée par une natte suspendue ou par une sorte de volet de bois. Presque toujours ouverte, elle tient lieu de fenêtre. A l’intérieur, quelques nattes grossières traînent par terre ; une bouilloire de fer est suspendue par une crémaillère au-dessus d’un âtre