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cuivrée, aux longs cheveux pendans sur les épaules, on a la révélation de la vie sauvage primitive. Telle dut être l’impression des premiers navigateurs portugais qui furent jetés sur un rocher de la mer de Chine ; cela devait se voir il y a mille ans, et les siècles en se succédant n’ont apporté aucun changement à ces existences.

L’île de Kin-kwa-san serait absolument déserte, si la religion sintiste, habile au temps de sa prospérité à consacrer par ses manifestations toutes les beautés naturelles, n’y avait bâti un temple devenu un lieu de pèlerinage. Le temple n’a plus son grand-prêtre, mais l’habitude des pèlerins a survécu au culte, et le desservant laïque chargé d’entretenir l’autel offre un gîte aux nombreux visiteurs dans les dépendances du monastère abandonné. Il y avait foule quand j’arrivai. Je ne cesse d’admirer cette humeur voyageuse des Japonais. Sans être poussés par un intérêt mercantile, ni par un zèle religieux qui leur fait absolument défaut, ils entreprennent souvent de longs voyages à pied, presque sans ressources, pour visiter un lieu célèbre, un temple, une montagne, un tombeau. Grâce à la simplicité de leur appareil, grâce à la facilité de la vie, les plus humbles peuvent partir le bâton à la main, le pied leste, le cœur léger, sûrs de rentrer riches de souvenirs, sans être beaucoup plus pauvres d’argent. Tandis que mon koskaï (serviteur), à grands renforts de paravens, s’ingénie à élever à mon profit le mur de la vie privée dans une vaste salle où se tiennent une trentaine d’hommes et de femmes, je gagne la forêt sous la conduite d’un jeune garçon pour qui le monde finit là. Une cascade roule sur un lit de sable mêlé de mica, dont les reflets dorés ont valu à l’île son nom et la réputation, bien usurpée d’ailleurs, de receler de l’or. Un petit sentier grimpe sous les magnifiques sugni, au milieu de quartiers de granit, dans une solitude qui rappelle la Gorge-aux-Loups de la forêt de Fontainebleau. On parvient enfin, après une ascension facile, à un plateau découvert d’où l’œil émerveillé embrasse un horizon sans limites. Kin-kwa-san est un cône à peu près régulier couvert d’une haute futaie, sillonné de ruisseaux, dont le développement total à la base est de 20 kilomètres. A l’ouest sont les îles que nous avons dépassées pour arriver ; au nord, on en voit une autre toute petite, véritable écueil qui servait jadis de pénitencier ; au sud, on distingue la côte ferme, qui se perd dans le lointain ; à l’est, on n’aperçoit que l’Océan-Pacifique roulant ses grandes lames régulières que rien n’arrête depuis San-Francisco. On sent là. qu’on est au bout du vieux monde et séparé du nouveau par l’immensité. C’est pour ainsi dire le Ouessant du Japon.

Une émotion toute nouvelle, c’est la vue des daims familiers qui peuplent cette terre, où d’anciennes lois ordonnent de les respecter