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plus brillantes, je ne réussis même pas à la faire prendre au sérieux. Y a-t-il du moins une raison, une objection quelconque ? Non, seulement ce serait insolite, et cela suffit. C’est donc dans un grand canot de pêche, à quatre avirons, que je m’embarquai bien avant le jour pour visiter l’île sacrée de Kin-kwa-san (la Montagne-d’Or), située à 18 lieues de là, vers l’est, en dehors de la baie. Au bout de sept heures de trajet, par un beau temps et sous un soleil terrible, nous entrions dans le groupe d’îles qui la précèdent : elles sont plus grandes, d’aspect plus sévère que celles de la côte occidentale du golfe ; les falaises de basalte, couvertes de fucus et de mollusques, s’enfoncent à pic dans une eau profonde et transparente. C’est dans ce lieu inhospitalier, à Tashiro, qu’était autrefois établi le pénitencier où les daïmios de Sendaï envoyaient en exil leurs samouraïs (officiers) coupables de quelque délit ou soupçonnés de quelque mauvais dessein. Cette sorte d’exil était jadis et reste encore l’une des peines les plus cruelles pour des hommes si épris de plaisir et de bruit, incapables de remplacer par l’activité de l’esprit le vide de l’oisiveté forcée. Quelques-uns d’ailleurs étaient astreints au travail ; on voit en passant les défrichemens qu’ils ont légués aux habitans d’aujourd’hui, pêcheurs insoucians qui ne songent guère à les continuer ni à en profiter. Dans toute cette région, à part quelques plans de haricots devant la porte des cabanes, on n’aperçoit aucune trace de culture. Les insulaires n’ont pas l’air de soupçonner qu’il y ait d’autre nourricier que l’océan. On en voit quelques-uns voguer à côté de nous dans des canots qui pourraient passer pour des périssoires et qu’on dirait à chaque instant prêts à chavirer sous le poids de la natte de paille qui leur sert de voile.

Il n’est pas donné à tout le monde d’aborder à Kin-kwa-san ; c’est d’ailleurs le seul rapport qu’ait cette terre mystérieuse avec la riche Corinthe. Favorisés par la marée, nous jetons l’ancre au milieu de rochers aigus, tout hérissés d’échinodermes, dont les épines restent dans les pieds nus, car il faut faire quelques bonds dans l’eau pour gagner la plage. J’aurai toujours devant les yeux le spectacle qui s’offrait là : une quinzaine de pêcheurs japonais, surveillant leurs barques à l’ancre, se tenaient accroupis ou couchés entièrement nus sur le sable sous un soleil mortel. Muets, immobiles, la face congestionnée par la chaleur, bouche béante à la vue d’un étranger, ils semblaient plongés dans je ne sais quelle torpeur stupéfiante commune avec la brute, ruminant, comme les bœufs dont parle un poète,

Le rêve intérieur qu’ils n’achèvent jamais.

À la vue de ces corps inertes, aux muscles arrondis, à la peau