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l’eucalyptus. La pureté même du ciel y favorise ces gelées de rayonnement qui détruisent en une nuit les espérances de toute une année, sans compter que de loin en loin d’énormes abaissemens de température (jusqu’à 17 degrés centigrades à Montpellier) y tuent au ras de terre même les arbustes ou les arbres naturels à la région (lauriers, lauriers-tins, cistes, chênes-kermès) ; aussi la culture en plein air des végétaux australiens à Montpellier, à Marseille, à Narbonne même, est-elle une expérience pleine de transes pour l’amateur qui s’attache à ces pauvres êtres avec le sentiment anxieux d’une véritable paternité. J’ai connu pour ma part ces craintes, j’ai subi ces déceptions pour l’eucalyptus globulus dans la période de 1863 à 1870, et de cette longue et pénible expérience j’ai fini par tirer la conclusion que, pour le climat du Languedoc et même de la partie occidentale de la Provence, la culture en plein air de cet arbre ne peut donner que des jouissances temporaires gâtées par les appréhensions et n’aboutissant jamais à rien de pratique en tant que reboisement ou dessèchement de marais. L’expérience dans ce dernier sens n’est pas faite pour la Camargue, mais il est plus que douteux qu’elle puisse réussir dans une région plate, sans abri, désolée par le mistral et n’offrant dans sa végétation spontanée aucun indice d’un climat plus chaud que celui du littoral de Montpellier. À Marseille même, sur la colline du Roucas blanc, où le goût de M. Talabot a su créer à l’ombre protectrice des pins d’Alep et dans les anfractuosités des roches tant d’abris pour les plantes délicates, l’eucalyptus n’est qu’un hôte frileux et dépaysé, superbe et luxuriant dans sa période juvénile, mais auquel manque l’avenir et que menacent les chances du premier hiver exceptionnel.

L’introduction de l’eucalyptus dans la Provence orientale remonte à peu près à 1858. Le jardin des frères Huber à Hyères en possède depuis 1860 le premier pied caractérisé, c’est-à-dire monté en arbre et dressant au sommet d’un gros tronc une cime pyramidale. À la même époque, M. Gustave Thuret d’Antibes en avait un seul exemplaire planté sans abri sur une pelouse, et déjà victorieux de deux hivers, ce qui en fait remonter la plantation à 1858. Des graines reçues de M. Mueller et communiquées par moi à M. Thuret en juin 1860 donnèrent des sujets qui, mis en terre au premier printemps de 1861 et traversant une année de sécheresse excessive, n’en avaient pas moins en janvier 1862 de 2 mètres à 3m,25 de hauteur. Lorsque je vis ces mêmes pieds en novembre 1863, je ne pouvais en croire mes yeux ; c’étaient de vrais arbres, avec de vrais troncs, une ample couronne et des fleurs ! Aujourd’hui la région entière de Cannes à Monaco montre aux voyageurs entre le feuillage pâle des oliviers à troncs séculaires et les vastes parasols des pins d’Italie