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surface aride, il intitula hardiment une autre brochure : Boisement dans le désert et colonisation. Qu’il y ait dans cette espérance une part d’illusion et d’utopie, c’est ce que les esprits froids seront naturellement portés à conclure du langage même de l’auteur, langage trop assuré, trop tranchant pour ne pas être un peu suspect ; mais l’enthousiasme a son prix lorsqu’il s’agit de pousser l’opinion publique vers un but utile, et, si quelques mécomptes attendent fatalement les pionniers d’une voie nouvelle, leurs déceptions même servent à rectifier la route au profit des prudens et des timides. Aujourd’hui du reste, si le désert n’est pas près d’être conquis, la cause de l’eucalyptus est à d’autres égards pleinement gagnée. Il a désormais en Algérie ses lettres de grande naturalisation. Il borde triomphalement les voies ferrées, dont il aura vu la naissance et marqué la date ; l’enceinte des jardins ne lui suffit plus depuis longtemps : c’est par centaines de mille qu’il s’implante, en massifs, en avenues, en groupes, en pieds isolés, sur tous les points des trois provinces, et dès à présent l’étranger qui ne serait pas instruit de l’origine exotique de l’eucalyptus pourrait le prendre pour un des arbres indigènes de la région.

Chose singulière du reste, les deux plantes les plus caractéristiques en apparence du climat et de la flore algérienne sont l’une et l’autre des espèces importées dans le vieux continent depuis la découverte du nouveau : le figuier de l’Inde, l’agave (vulgairement et improprement aloès), sont non-seulement étrangers à l’Afrique, mais ils représentent deux familles exclusivement américaines. Si les documens historiques n’étaient là pour attester l’importation récente de ces deux plantes, les botanistes seuls pourraient la présumer d’après la distribution géographique de leurs familles respectives et d’après ce fait que leur multiplication la plus ordinaire a lieu non par des graines, mais par des boutures ou des drageons.

Si l’eucalyptus, comme l’agave et l’opuntia, semble fait exprès pour l’Algérie, on ne saurait dire qu’il trouve sûr tout le littoral du nord de la Méditerranée une patrie aussi régulièrement appropriée à ses besoins. Dans le midi de la France, les seuls points où se plaisent et prospèrent les plantes de l’Australie sont ceux où l’oranger végète en plein air sans abris artificiels. Port-Vendres, Collioure dans les Pyrénées-Orientales, Saint-Maudrier, Hyères dans le Var, Cannes, le golfe Jouan, Amibes, Nice, Villefranche, Monaco dans les Alpes-Maritimes, voilà les stations privilégiées où l’hiver est pour mille plantes exotiques la saison de la végétation et des fleurs. En dehors de cette zone bénie, le climat de l’olivier a de ces brusques caprices dont s’accommode difficilement le tempérament de