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l’on reçoit. Celle-là provenait probablement de Paris et peut-être du même semis que les pieds cultivés dans les serres du Muséum en 1854 sous le nom d’eucalyptus glauca. Pendant que ce pied adulte d’eucalyptus fleurissait obscurément sur la colline, des milliers d’autres de même espèce désignés sous leur vrai nom de globulus s’entassaient dans les pépinières du Hamma (jardin d’essai) ; les graines envoyées de Melbourne par M. Mueller et apportées par M. Ramel avaient été semées au printemps de 1861[1]. M. Hardy destinait naturellement ses jeunes sujets à des distributions en grand dans la colonie ; mais les lenteurs calculées de cette émancipation de la plante contrariaient l’impatient désir des amateurs qui l’attendaient pour leurs cultures. Plus heureux que d’autres ou mieux inspiré, un colon sérieux et distingué, M. A. Cordier, sut obtenir directement de M. Ramel, en 1862, 100 graines de l’arbre convoité ; il les sema et en obtint 62 plants, lesquels n’avaient en mai 1863 que 15 centimètres de haut. Au printemps de cette même année 1863, j’envoyai à M. Charles Bourlier 12 pieds d’eucalyptus que m’avait donnés un pépiniériste de Montpellier, M. Hortolès, et ces pieds distribués à des amateurs soigneux, notamment à M. Cordier, prirent un si rapide développement que le désir de posséder un si bel arbre s’en accrut encore. Dès ce moment fut rompu le charme qui retenait prisonniers les jeunes eucalyptus du Hamma ; c’est par centaines d’abord, puis par milliers, que le nouvel arbre prit possession de la terre mauritanienne, et, dans ce steeple-chase à l’eucalyptus, M. Cordier sut garder vaillamment la tête par la plantation en massif de plusieurs hectares de la nouvelle essence forestière.

Bientôt après, un autre colon, M. Trottier, fut saisi à son tour de la fièvre de l’eucalyptus (ceci soit dit comme un éloge et sans intention aucune de raillerie) ; il eut aussi la foi et prouva sa foi par ses œuvres : planteur ardent pour lui-même et pour d’autres, il envisagea surtout dans son arbre favori une essence forestière capable d’enrichir un jour notre colonie, et n’hésita pas à prendre pour épigraphe de l’un de ses. écrits ces paroles ambitieuses : « le bois de l’eucalyptus sera le grand produit de l’Algérie. » Poussant plus loin encore la confiance, il vit le désert reculer devant cet arbre colonisateur, et, spéculant sur le fait incontestable que la forêt crée l’humidité et transforme le régime hygrométrique d’une contrée, comptant d’ailleurs sur les nappes d’eau souterraines de cette région à

  1. C’est en 1857 que M. Ramel apporta à Paris, de son premier voyage on Australie, des graines d’eucalyptus globulus : elles furent distribuées au Muséum et à la Société d’acclimatation ; mais le Muséum en avait reçu les graines de M. Mueller en 1856.