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dans l’inspiration de ses poésies religieuses, et personne, après avoir lu ces lettres, ne peut continuer à considérer les Consolations comme une gageure de rhétorique ; mais il faut sur-le-champ marquer la nuance, et se garder de toute exagération. La conversion de Sainte-Beuve a été plus qu’une conversion littéraire ; elle n’a jamais été une conversion morale. Elle n’a point transformé sa vie et ne lui a jamais inspiré, selon toute apparence, des actes de foi positive, semblables à ceux dont M. Morand rappelle le souvenir dans sa préface. Sainte-Beuve lui-même va nous l’apprendre, ou plutôt à l’abbé Barbe : « Je dois te dire encore que ma vie est loin d’être conforme à ce que je voudrais et ce que je croirais le bien ; mais c’est déjà quelque chose que je le sente, et que je tâche d’être plus d’accord avec moi-même. » (Lettre du 26 juillet 1829.) Et dix mois plus tard : « Mais, hélas ! ce n’est là encore pour moi qu’un simple résultat théorique ou d’expérience intérieure, et je suis loin d’y ranger ma vie et toutes mes actions comme il conviendrait. Cependant l’objet de ses préoccupations ordinaires devient plus élevé. Ce qui m’occupe sérieusement, c’est la vie elle-même, son but, le mystère de notre propre cœur, le bonheur, la sainteté, et parfois, quand je me sens une inspiration sincère, le désir d’exprimer ces idées et ces sentimens selon le type éloigné de l’éternelle beauté. Si j’avais plus d’ardeur aux choses d’en haut, ce serait un grand bien pour moi d’être aussi détaché que je le suis de tout le bruit et de tout le monde d’alentour ; j’y suis indifférent à toute heure, en tous lieux. Par malheur, ne tenant plus à rien du dehors et ne me rattachant pas assez exclusivement à l’échelle du salut, je me maintiens dans les régions d’entre deux, véritable enfer des tièdes. Espérons que cela aura une fin. »

Tout esprit non prévenu reconnaîtra la valeur de ces témoignages, et ce serait les affaiblir que de les commenter. Cependant une question délicate reste à résoudre. Sous quelle conjoncture cette conversion s’est-elle opérée chez Sainte-Beuve ? Est-ce un travail intérieur d’études et de réflexions ? Est-ce une influence venue du dehors ? Nous allons bien trouver dans la vie de Sainte-Beuve l’empreinte puissante de Lamennais ; mais, c’est à peine si, à l’époque où furent composées les Consolations, il était en relations lointaines avec lui. Quant au travail intérieur et à la réflexion, Sainte-Beuve, qui était déjà à cette époque un érudit en littérature, n’avait guère pâli sur les textes sacrés, et il n’a jamais été très familier avec l’exégèse et la théodicée. D’ailleurs il le dit lui-même à l’abbé Barbe, s’il est revenu à ses anciennes croyances, c’est moins par la marche philosophique ou théologique que par le sentier de l’art ou de la poésie ; est-ce bien d’art et de poésie qu’il faut parler ici ? Ne faut-il pas