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état d’esprit tienne aussi à d’autres causes presque impossibles à analyser, les grandes et éternelles questions y interviennent fréquemment. C’est le lot de l’humanité. » C’est au mois d’août 1828 qu’il tient ce langage, et ces doutes religieux dont il parle, ce sont les premières hésitations après l’assurance absolue dans la négation, après cette période de matérialisme physiologique qui s’étend de 1824 à 1827, succédant elle-même à une période de foi, enfantine si l’on veut, mais qui paraît avoir duré cependant jusque vers 1822 ou 1823. Je demande pardon de cette chronologie ; — en matière si délicate, c’est le seul moyen d’arriver à la vérité en échappant au parti-pris.

Au surplus, la suite de la correspondance avec l’abbé Barbe va le montrer inclinant de plus en plus vers le christianisme. Onze mois après, à la date du 26 juillet 1829, il lui écrit : « Mes idées qui, pendant un temps, avaient été fort tournées au philosophisme, et surtout à un certain philosophisme, celui du XVIIIe siècle, se sont beaucoup modifiées et ont pris une tournure dont je crois sentir déjà les bons effets. Sans doute nous ne serions pas encore sur beaucoup de points, et surtout en orthodoxie, du même avis, je le crains ; pourtant nous nous entendrions mieux que jamais sur beaucoup de questions qui sont bien les plus essentielles dans la vie humaine, et là même où nous différerions, ce serait de ma part parce que je n’irais pas jusque-là, plutôt que parce que j’irai ailleurs et d’un autre côté. » Et il ajoute encore pour bien mettre son ami au courant de son âme : « Au reste je dois t’avouer que, si je suis revenu avec conviction sincère et bonne volonté extrême à des idées que j’avais dépouillées avant d’en sentir toute la portée et tout le sens, ç’a été bien moins par une marche théologique ou même philosophique que par le sentier de l’art et de la poésie ; mais peu importe l’échelle, pourvu qu’on s’élève et qu’on arrive. »

Cette lettre marque nettement les trois périodes que j’ai déjà signalées : une première période de foi à la suite de laquelle les idées religieuses sont dépouillées, une période de philosophisme matérialiste, puis un retour aux idées premières, retour lent, mais marqué. Au mois de mai 1830, c’est-à-dire deux mois après la publication des Consolations, nous trouvons Sainte-Beuve encore plus affirmatif. « Nous nous accorderons mieux sur les idées religieuses. Après bien des excès de philosophie et de doutes, j’en suis arrivé, j’espère, à croire qu’il n’y a de vrai repos ici-bas qu’en la religion, en la religion catholique orthodoxe, pratiquée avec intelligence et soumission. »

Ces lettres paraissent trancher d’une façon absolue une première question : celle de la sincérité. Oui, Sainte-Beuve a été sincère