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recommande, il traversera les siècles toujours relu, toujours cité, dégusté, savouré, mais n’aura jamais sa place parmi les grands, l’imagination lui manque. Horace n’invente ni ne crée, ses fables et sa forme sont d’emprunt, son vers, comme celui de Voltaire, côtoie la prose. Le spirituel, le délicat, l’art exquis d’assembler des rhythmes, lui tiennent lieu d’enthousiasme et de passion. Qui que nous soyons en ce monde, notre poésie est toujours plus ou moins faite à notre image, et le philosophe de l’aurea mediocritas ne saurait s’appeler Pindare ou Archiloque. Horace ne touche ni au sublime, ni à l’épouvante, ses plus terribles strophes ne vous effraient point ; les vers contre Melvius, contre l’empoisonneuse Canidie et la vieille femme amoureuse, sont au nombre de ses plus faibles pièces. Juvénal flagellant un Séjan, une Messaline, a bien d’autres colères, et les traits d’un Lucien ou d’un Voltaire sont enfiellés d’un poison plus acre et plus subtil. La satire d’Horace est une personne qui sait vivre, César peut l’inviter à sa table ; celle-là ne cache aucun poignard sous sa robe, ce qui ne l’empêchera pas de saisir tel ou tel au passage et de vous le draper d’importance. Je mets les odes sur la même ligne ; c’est de l’enthousiasme modéré. « Qui prétend imiter Pindare s’élance au-devant du sort d’Icare, il s’élève sur des ailes de cire, œuvre de Dédale, pour choir ensuite dans la mer. » L’allusion semble à sa propre adresse ; qu’il ait à célébrer les victoires d’Auguste, à glorifier Rome, l’essor lyrique fait défaut, le génie cède la place au talent habile à prodiguer les élégances, à substituer à l’émotion absente mille trésors de style et de réminiscences mythologiques. Voyez, dans l’ode contre Antoine et Cléopâtre, de quel manteau d’allégorie s’enveloppe sa colère. Tantôt Paris s’enfuyant avec Hélène aperçoit tout à coup Nérée qui, surgissant du milieu des flots, lui prédit la ruine d’Ilion, dont cet enlèvement criminel sera la cause, tantôt Junon, en plein Olympe, prend la parole pour célébrer le triomphe du peuple romain. On conçoit ce que ces sortes d’allégories devaient avoir d’électrisant pour les contemporains, et combien de beautés locales renfermaient ces odes, qui depuis se sont exhalées. Passer ainsi à tout instant du palais des dieux dans la maison d’Auguste n’était point jeu facile, il y fallait une grande dextérité. Là-dessus Horace est sans reproche, l’artiste est tel chez lui qu’au besoin il va vous faire du Pindare ou quelque chose qui sera du Pindare pour le vulgaire, mais où les yeux des clairvoyans surprendront la marque der fabrique ; je veux parler de ce trait humoristique dont Horace souligne ses plus fiers dithyrambes. Ainsi par exemple, lorsqu’il s’écrie : « J’ai construit un monument plus durable que l’airain, » et finit par enjoindre à la muse de couronner son front du laurier de Delphes, ces beaux vers nous