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Virginie, aux Volumnie, aux Cornélie, aux Portia, comparez une Julie, une Livie, une Agrippine. La puissance, le luxe, les avaient affolées ; ce qu’elles voyaient au théâtre, ce que leur montraient la sculpture, la peinture, entraînait leurs imaginations, les poussait au délire des sens. « La vierge ploie ses membres aux danses ioniques ; dressée à l’impudeur dès sa tendre enfance et nubile à peine, elle rêve aux amours les plus éhontés ; bientôt, au repas, pendant que le mari vide sa coupe, elle guette de jeunes adultères, et sans même choisir celui à qui, les lumières éteintes et à l’écart, elle prodiguera furtivement les faveurs défendues. »

Ainsi parle Horace[1]. Et se récriant aussitôt, la rougeur au front, il poursuit : « Elle n’était pas née de tels parens, la jeunesse qui souilla la mer du sang punique, qui défit Pyrrhus et le grand Antiochus et le terrible Annibal. C’était la mâle race de soldats rustiques instruite à retourner la glèbe avec des houes sabines et sous la discipline d’une mère sévère ;… mais que n’altère pas le temps destructeur ? nos pères étaient pires que leurs aïeux, nous sommes plus mauvais que nos pères, et notre postérité vaudra moins encore ! »

Jouir discrètement, se tenir loin de l’embarras, de l’excitation des affaires, tel est, selon Horace, le terme suprême de notre existence. Sa théorie ne brille ni par la profondeur ni par l’élévation. Dans les choses de la vie comme dans l’art, c’est une abeille effleurant toutes fleurs et composant son miel de leur suc. Repos, loisirs, ébattemens, joyeusetés faciles, il n’y a que cela qui compte ; pourquoi changer de climats, qui de nous réussit à se fuir soi-même ? Célébrer les agrémens de la vie champêtre est un plaisir dont il ne se lasse point ; il chante les vieux arbres, la fontaine transparente, splendidior vitro, puis retourne aux plaisirs de la table, aux doux festins, à ces bons entretiens qui se prolongent bien avant dans une belle nuit d’été, quand la lune argenté les verts gazons où des nymphes court-vêtues que sa muse se complaît à décrire, les Phyllis, les Lydie, les Néère, dansent aux accords de la lyre les ballets de Vénus et des Grâces. Une grande fortune nous rend chagrins ; celui-là dort tranquille, exempt de crainte et de cupidité, qui voit l’humble salière paternelle briller sur la table étroite, et, parlant à Iccius, il s’écrie : « Dès que tu te trouves content, tous les trésors des rois n’ajouteraient rien à ton bien-être. » Horace ne dédaigne ni le vin ni l’amour ; il ne lui déplaît point de passer pour un gai compagnon qui s’entend à vider son verre comme à chiffonner les jolis minois. Au début de l’ode sur Actium, il dira même en viveur consommé, en

  1. Ode aux Romains, VI, liv. III.