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grandes occasions et de chanter le divin Auguste sur le mode triomphal. Nous avons vu l’ode sur Actium, d’autres fois il s’agira de célébrer le retour des jeux séculaires, la restauration des temples après une inondation du Tibre, ou de comparer au lion et à l’aigle de Jupiter Tibère et Drusus, fils adoptifs de l’empereur. À vrai dire, ces sortes de flatteries étaient alors la chose la plus simple. Virgile non plus ne s’y ménage pas. Il suffit qu’un Asinius Pollion devienne père pour que l’enfant soit aussitôt déclaré fils des dieux et doive ramener sur la terre l’âge d’or, saturnia regna, — ni plus ni moins. Pourquoi donc Horace se gênerait-il, et qui l’empêchera de se demander quelle divinité est venue, sous la forme humaine d’Auguste, venger le meurtre de César et donner la paix au monde ? Ces dithyrambes n’étonnaient personne ; l’hyperbole était dans l’air, Horace l’exploita et, comme on dirait familièrement aujourd’hui, s’en fit de bonnes rentes pour vivre et se tenir en joie à la campagne. L’ami de Mécène ne fut cependant point à titre égal l’ami d’Auguste, et laissa toujours entre lui et le souverain une ligne respectueuse de démarcation qu’il ne franchissait pas. Sa devise a traversé les âges : il suit discrètement « la voie du milieu. » Le calme dans le plaisir, le plaisir dans le calme, il ne connaît d’autre sagesse, et cette philosophie est de nos jours encore celle de tous ses dévots. À trente-cinq ans, il prenait du ventre et ne mourut qu’après avoir vu disparaître tous les poètes de la période : Quintilius Varus, Properce, Tibulle et Virgile.


III

L’âme de la poésie virgilienne, c’est l’idée de Rome, Rome puissance universelle, invincible, impérissable ; jamais son vers ne porte plus haut que lorsqu’il a ce sentiment à rendre :


Tu regere imperio populos, Romane, memento !


De même chez Horace la voix du passé parle encore, quoique moins spontanée, moins abondante et généreuse. Sous l’ironie et le scepticisme palpite l’émotion, l’idée de Rome a survécu, elle rayonne, éclate dans le Carmen seculare :


Alme sol, possis nihil urbe Roma
        Visere majus !


Les poètes qui suivront ne sont plus que de leur temps. Héroïsme, grandeur, ils oublient tout, ne chantent que leurs plaisirs et leurs débauches. Cette grande Rome, inhumaine, égoïste, ne pouvait que