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Auguste, nous le savons, se posait volontiers en amateur des arts. Si ce n’était là un goût bien prononcé, c’était du moins une attitude. Sa politique étant de pousser la société romaine vers les distractions et les plaisirs de l’intelligence, il lui convenait de patronner publiquement les poètes et les artistes. Le général Lafayette raconte dans ses Mémoires une conversation où Napoléon, s’étant mis sur le chapitre d’Auguste, partit de bel enthousiasme jusqu’à le déclarer « le modèle d’un véritable grand homme, » élan d’ailleurs fort naturel et qui s’explique par les affinités mêmes des deux caractères. Chez l’un comme chez l’autre de ces despotes, l’aventurier était doublé d’un comédien, d’un virtuose passé maître dans l’art d’exploiter l’abaissement des hommes au profit de son ambition et de ses convoitises de pouvoir absolu ; mais le plus fort des deux fut Auguste, parce qu’il savait se contenir, se modérer.


Je suis maître de moi comme de l’univers.


Corneille a dit le mot. Cet avantage, Napoléon ne l’eut jamais. Il sortait de son rôle ou s’y laissait prendre au lieu de se tenir en dehors, au dessus, comme le fondateur de la monarchie romaine, dont le personnage ne se dément pas, et qui s’en va de ce monde en exhalant à ses amis avec son dernier souffle ce mot caractéristique de l’acteur parfait et satisfait : plaudite, cives.

Flatteur habile et mesuré, Horace, tout en se tenant à distance, eut bientôt gagné la faveur du maître. « Sais-tu, lui écrivait Auguste, que je t’en veux de ne m’adresser aucune de tes épîtres. Crains-tu donc que la postérité te reproche d’avoir été mon ami ? » À quoi le poète répondait par la fameuse épître sur la poésie grecque et romaine, mais sans abandonner sa chère solitude, ni consentir à se rapprocher davantage de l’empereur, qui le voulait absolument pour secrétaire. L’idée, régnait alors dans le monde romain que la monarchie était désormais la seule forme de gouvernement qui fût capable de sauver l’empire et la société. La république, ses discordes et ses guerres civiles avaient tellement fatigué les hommes, qu’Auguste, apportant le calme et la paix, leur apparaissait comme un dieu. Horace accepta de plein gré ce nouveau régime. L’ancien tribun des soldats à l’armée de Brutus tourna bride à ses opinions, de même qu’à Philippes il avait déserté le champ de bataille. Cela s’appelle obéir à l’impulsion, céder au courant des idées. Et puis comment voulez-vous qu’on déteste un tyran qui ne touche à vos biens que pour les augmenter, vous laisse aller et venir à votre guise, adore votre esprit et n’a pour votre personne que des égards et des prévenances ? Tout ce qu’on lui demande à cet heureux, c’est d’accorder sa lyre à certaines