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dans ses vers aucune des grandes dames de l’époque, attribuant à la réserve, au parfait bon goût, une omission nullement volontaire et que les mœurs de la société romaine lui commandaient. L’ancien monde n’admet au soleil, ne reconnaît que l’homme libre ; la femme demeure à l’écart, et c’est à qui ne soulèvera pas le voile dont elle s’enveloppe. Le théâtre, la poésie lyrique, professent à son égard un égal respect. Qui voyons-nous figurer dans les pièces de Ménandre, de Plaute, de Térence ? Des ballerines, des citharèdes, des aulétrides, un pur fretin d’esclaves et de courtisanes. Les temps ne sont point nés encore où les grandes dames accueilleront les dédicaces des poètes. Les noms d’une Livie, d’une Julie, ne se prononcent pas ainsi tout haut devant le public, et j’ai peine à comprendre qu’un homme si au fait de l’antiquité que l’était le comte Siméon s’étonne d’un détail de cette importance et le relève avec un tel feu.

Je n’aime pas les Allemands, ou, pour mieux dire, je ne les aime plus ; mais, quand je compare ces notices cursives aux études qui se publient à Berlin, à Leipzig, à celles de M. Karl Frenzel par exemple, il m’est bien difficile de me contenter des simples aperçus, même spirituels, et de ne pas donner la préférence au commentaire nourri de citations, et qui, ennemi des redites d’après Suétone, les sources faisant défaut, s’efforce de creuser les textes du poète pour en dégager l’information biographique.


II

La vie d’Horace n’a rien de romanesque ; telle qu’elle est pourtant, on y sent comme l’influence d’une divinité protectrice dont il s’intitule « l’enfant gâté. » Un jour qu’il jouait tout enfant, il s’égare loin du champ de son père, et le voilà, perdu dans la montagne, qui tombe accablé de fatigue sous un arbre et s’endort d’un profond sommeil. Nulle bête sauvage ne trouble son repos, des colombes seules arrivent qui le couvrent de verte ramée. Ne dirait-on pas un symbole ? et si c’est un symbole, de combien ne diffère-t-il pas de la louve dantesque rencontrée plus tard dans cette forêt obscure du moyen âge ? Il était né sous le consulat de Torquatus et Cotta, le 8 décembre de la soixante-cinquième année avant Jésus-Christ, à Venusia, vieille colonie militaire où son père possédait un petit bien. Enfant unique, il perdit sa mère de bonne heure, et ne parle dans ses vers que de son père, lequel avait consacré à l’élever sa modeste fortune, acquise dans le maniement des deniers publics, — il était percepteur et commissaire des ventes à l’enchère. Dédaignant l’institution locale, il amène son fils à Rome et le confie aux soins d’Orbilius, professeur en crédit près des plus hauts