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souvent, hélas ! le répète à ses courtisans. Par bonheur, le comte Siméon était assez riche pour payer, non point sa propre gloire, — il avait pour cela trop d’esprit, — mais celle du poète de ses plus délicates prédilections. L’ouvrage, incessamment surveillé, s’imprimait par ses soins en toute magnificence ; deux volumes avaient paru, morceaux de choix, objets de luxe, lorsque brusquement la mort vint saisir cet honnête homme, qui s’en alla du moins avec la conscience d’avoir mis la dernière main à l’œuvre la plus chère de sa vie. Les satires, les épodes, les odes, il a tout versifié, tout annoté, multipliant les variantes jusqu’à ciseler en sonnet telle odelette déjà coulée en strophes ; « mais, ces odes variant de huit à vingt-quatre vers, il n’était pas toujours facile de les étendre ou de les resserrer dans les quatorze vers obligés du sonnet sans rien ajouter au texte du poète latin et sans rien en retrancher, il fallait quelquefois développer l’idée et quelquefois la rendre plus concise. » Sa poétique est celle de Delille, comme sa rhétorique est de Fontanes. Il paraphrase et périphrase, ralentit le mouvement, cherche sa rime. La muse d’Horace, pendant ce temps, file et gagne au pied ; il arrive pourtant, quelque peu essoufflé, mais toujours exact. Son vers, sans avoir grand éclat, se tient sur ses jambes ; ses rhythmes, insidieusement choisis pour laisser au traducteur un plus libre espace où se mouvoir, ont de la tournure et du nombre. Vous êtes en présence d’un bon esprit, familiarisé de longue date avec la tablature, et qui, très versé sur le sens, vous intéresserait encore par le sincère et profond amour de son sujet. C’est l’enthousiasme du vrai croyant, une admiration qui du poète s’étend à l’homme et ne fléchit pas même devant certaines défaillances de caractère sur lesquelles il eût mieux valu ne pas insister. « Horace a vécu à une époque troublée par les guerres civiles ; il s’était rangé d’abord parmi ceux qui pensaient défendre la liberté ; dès qu’avec son admirable bon sens il eut reconnu que l’ambition des uns et l’aveuglement des autres ne servaient qu’à entretenir les discordes civiles, il n’hésita pas à se soumettre au chef heureux qui rendait enfin le repos au pays : » tant il est vrai qu’en ce bas monde il n’y a que le point de vue qui compte, et qu’un siège au sénat sous le dernier empire était un merveilleux poste d’observation pour envisager favorablement diverses choses de l’antiquité romaine. « Celui qui rendit le pouvoir stable fut donc un politique habile, on oublie trop ce détail quand on attaque Auguste ; la saine raison d’Horace entrevit bientôt la vérité, ses plus belles poésies sont la glorification d’un pouvoir tutélaire. » Molière à tout cela répondrait ; — Vous êtes orfèvre, monsieur Josse ! — Le comte Siméon a tellement le besoin de louer tout chez Horace, qu’il lui fait un mérite de n’avoir nommé