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légion, mais parmi ces vaillans ouvriers occupés, qui avec Dante, qui avec Shakspeare, qui avec Goethe, se trouvait plus d’un maître capable de conceptions originales et n’en faisant pas moins à son poste œuvre excellente de traducteur. Il n’y a vraiment que notre cher pays pour voir de semblables classifications s’imposer aux gens ; partout ailleurs un poète est libre sur ses terres et s’y gouverne comme il lui plaît. Ici, nous distinguons mille variétés dans l’espèce, il y a les lyriques, les élégiaques, les mystiques, les bucoliques et les satiriques ; composer des odes, rimer des fables et des contes est un art, traduire Horace ou Virgile est une besogne « qui ne saurait être accomplie par un grand poète, » et, pour peu que vous conserviez quelques doutés à cet égard, on vous citera l’abbé Delille, qui borna son talent à traduire les anciens et les modernes.

Il n’importe, j’eusse aimé voir la muse d’un poète parlant la langue de ce temps-ci s’exercer sur Horace. M. Leconte de Lisle a préféré s’en tenir modestement à la prose, ce qui n’empêche pas sa traduction d’être une œuvre d’art. On y sent l’honnêteté, le ferme propos, l’exactitude, et d’un bout à l’autre la main d’un homme habile à rendre dans son mouvement et sa couleur le texte dont il a d’abord pénétré l’esprit. Peut-être cette forme est-elle par instans un peu sévère ; quant à moi, je ne m’en plains pas. Une bonne traduction ne saurait être absolument impersonnelle : on prête à son modèle, on y met du sien, là est le quid nimis inévitable, et mieux vaut, en pareil cas, pécher par la dignité que par la gaudriole. Évitons surtout de faire d’Horace une sorte de Désaugiers, membre du Caveau. Plût à Dieu que M. Leconte de Lisle n’eût point d’autre tort ! Le malheur veut qu’il s’entête dans une affectation qui semble inventée à plaisir pour l’agacement du lecteur. Qu’en traduisant Homère ou Hésiode on écrive Ephaïstos au lieu de Vulcain, Aphrodite au lieu de Vénus, Arès à la place de Mars, cela peut s’expliquer au besoin par certain sentiment d’ailleurs exagéré des restitutions historiques, bien que, tout le monde sachant que la nomenclature des dieux de la Grèce n’est point celle des dieux du Latium, il fût parfaitement inutile, sinon puéril, de venir tant appuyer sur ce sujet. Au point de vue de l’érudition, c’était ce qu’on appelle enfoncer une porte ouverte et taquiner toutes nos habitudes sans rien nous apprendre de nouveau ; mais lorsqu’il s’agit d’un poète latin, quelle raison d’être a cette fantaisie ? Écrire le Capitolium au lieu du Capitole, le Tiberis au lieu du Tibre, Roma au lieu de Rome, voyez un peu la belle avance ! C’est tout simplement se donner la satisfaction de manquer à la syntaxe des deux langues, car un substantif qui se décline ne comporte pas notre article, et pour être dans la vérité du système il