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et de Myron ; les marbres, les peintures des pays qu’ils ont traversés fécondent leur inspiration, et se reflètent dans leur vers également pittoresque, fort et magistral sous son apparence relâchée.

Nul poète ne fut plus traduit qu’Horace, pour nous en tenir à la France ; il ne se passe guère d’année qui ne voie éclore une ou deux éditions nouvelles du maître favori. Latinistes de profession, journalistes, poètes, sorboniqueurs et gens du monde, c’est à qui se distinguera dans cet exercice. Connaître son Horace à fond, en pouvoir discourir à brûle-pourpoint et le citer à tout venant, est déjà, pour bien des esprits, une attitude ; mais l’avoir quelque peu traduit, voilà le suprême du goût et de la culture. Les magistrats de tout temps ont pratiqué chez nous cette religion. Un homme sérieux qui sacrifie aux muses n’en connaît même pas d’autre ; sous la restauration, un pair de France allant à la campagne n’eût point manqué de l’avoir en poche, Louis XVIII faisait de lui sa gourmandise, et le dégustait comme un de ces fins morceaux qu’il aimait à cuisiner entre amis. Dilettante moins forcené que Scaliger, Louis-Philippe n’eût peut-être pas échangé sa couronne contre la satisfaction d’avoir écrit la neuvième ode, mais il faisait également du lyrique romain un cas tout particulier, et c’est au cœur même du sénat de Napoléon III que le traducteur le plus récent scandait ses ïambes et ses hexamètres. Étrange fortune que celle de ce fils d’affranchi : après avoir vécu joyeusement parmi les plus grands seigneurs, il continue à se maintenir à travers les âges en toute faveur et tout crédit près des classes dirigeantes ; poète de bonne compagnie, tel est Horace ; qui sait si l’absence de passion que volontiers on lui reprocherait ne l’a pas énormément servi ? La passion gêne le goût, porte scandale ; la passion, c’est le diable, ou pour le moins le diable au corps, qu’elle parle un peu haut dans un livre, et le prélat aura des scrupules. Or, des scrupules, il faut se garder d’en éveiller ; les grandes clientèles ne s’acquièrent qu’à ce prix. Horace possède le secret de nous mettre, d’accord avec nous-mêmes, sa philosophie est le royaume des accommodemens, des transactions ; il a des indulgences pour toutes les petites perversités auxquelles sont enclins les plus honnêtes gens. On le traite en enfant gâté. Ses badinages libertins, ses impiétés, ne tirent pas à conséquence ; il s’écriera par exemple, en bafouant les rites sacrés des Juifs, qu’il ignore parfaitement ce que c’est que d’avoir une religion quelconque, et cette pointe de voltairianisme anticipé n’effarouchera personne. Il y a des choses que l’esprit humain prend bien en dépit du danger qu’elles comportent, d’autres qu’il prend mal en dépit du bien qu’elles renferment, d’autres qu’il ne prend pas du tout, et devant lesquelles, bonnes ou mauvaises, il passe sans regarder. Les vers d’Horace