Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 12.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

21 septembre. — La lumière de midi, tamisée par un ciel tendu de claires nuées, veloutait doucement les flancs de la vallée, quand nous aperçûmes Arc-en-Barrois traversé par l’Aujon et resserré entre deux coteaux boisés. — La petite ville paraît toute ramassée dans ce creux de vallée, avec ses maisons bourgeoises semées au hasard d’un alignement fantaisiste. Les toits ardoisés du château du prince de Joinville, tranchant sur de beaux arbres, donnent à Arc une physionomie avenante et hospitalière. Le clocher gris, voisin du château dont les jardins l’entourent, fait penser à une église anglaise avec la rectory confortable, à deux pas.

— Je vais, dit Tristan, te mener chez deux excellentes dames qui m’ont logé jadis et qui nous recevront à bras ouverts.

J’eus beau réclamer et insister en faveur de l’auberge, où nous serions plus libres, Tristan n’en voulut pas démordre. — Tu verras, répétait-il, ce sont deux cœurs d’or, et quelle bonne surprise nous allons leur faire !

Nous nous acheminâmes donc vers une maison basse, située non loin du château. Assez inquiet de cette intrusion peu cérémonieuse, je restais en arrière, laissant à Tristan toute la responsabilité de son indiscrète démarche. La porte à peine ouverte, nous fûmes reçus par une dame d’une cinquantaine d’années, à la taille courte et rondelette, au visage coloré. Ses yeux vifs et intelligens, son nez retroussé, surmontant deux grosses lèvres pleines de bonté, ses cheveux gris relevés à la chinoise sur un front bombé, me rappelèrent un portrait de Mme de Graffîgny, l’auteur des Lettres péruviennes. Le corridor était sombre, et elle eut un moment d’hésitation avant de reconnaître mon ami; tout à coup, frappant ses mains l’une contre l’autre : — Bonté divine, monsieur Tristan ! s’écria-t-elle. — Il lui saisit les bras en riant et lui posa deux gros baisers sur les joues.

— Maman ! continua-t-elle d’une voix joyeuse, en se penchant vers une porte entre-bâillée, viens donc voir, c’est M. Tristan !

Un cri répondit au sien, et une petite vieille octogénaire, aux yeux couleur de noisette, pleins de finesse et de vie, à la taille un peu courbée, mais à l’allure encore preste et accorte, accourut enjoignant les mains. Nouvelle embrassade, et Tristan me présenta.

— Croiriez-vous, leur dit-il, que mon ami voulait descendre à l’auberge?

— Par exemple! répliqua la plus jeune, je ne vous l’aurais jamais pardonné... Entrez vite dans la salle, vous devez avoir grand’faim, et vous allez déjeuner.

Je les suivis dans la chambre, où un gai rayon de soleil pénétra en même temps que nous. C’était une antique pièce, servant à la fois de salon et de salle à manger, meublée de vénérables meubles