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qu’il est Français, comme un autre ferait par la géographie de l’Italie, s’il était Italien. Il a ses raisons quand il commence la description de la terre par la description de l’Europe, il les donne, et elles sont tirées d’ailleurs que d’un superstitieux respect des préjugés ou de sa convenance personnelle ; il a ses raisons quand il commence l’étude du continent européen par l’étude de ses contrées méridionales. C’est que, dans l’histoire de la civilisation de l’Europe, les pays méditerranéens ont joué le même rôle d’initiative et de propagande que l’Europe dans l’histoire de la civilisation du monde. Combien cette méthode n’est-elle pas plus naturelle, plus instructive en même temps, et j’ajoute plus attrayante que cette autre, — si seulement c’en est une, — qui consiste à décrire la terre moins l’Europe d’abord, l’Europe moins la France ensuite, et la France enfin, le tout en trois volumes d’une même étendue ? On aurait aussi bien arrêté de suivre l’ordre précisément inverse que ni les proportions de l’ouvrage, ni l’harmonie du plan, n’en étaient altérées. Voilà du moins quelqu’un qui sait ce que parler veut dire, et, quand il écrit « qu’à une période nouvelle il faut des livres nouveaux, » qui sait comment les sciences se renouvellent : l’abondance des détails et l’accroissement de la matière n’y étant de rien, — la disposition nouvelle des parties et leur liaison dans un enchaînement nouveau y étant tout.

Et voyez les conséquences : non-seulement l’ensemble y gagne l’unité, la clarté, l’intérêt, mais encore les descriptions particulières s’animent et sortent du cadre inflexible, le même pour toutes indistinctement, où les maintenait la tradition de l’école. Les désignations précises de longitude et de latitude, — les énumérations de villes et de villages, — les chiffres, — sans doute M. Reclus les donne, mais en note, et non sans remarquer que ce sont là toutes choses du domaine spécial de la statistique ou de la cartographie. Et en vérité, il n’importe pas plus, j’imagine, à une solide connaissance de la géographie de savoir à dix unités près la population d’une bourgade perdue de la Basse-Bretagne, qu’il n’importe à une solide connaissance de l’histoire d’apprendre « que Thouthmosis était valétudinaire, et qu’il tenait cette complexion de son aïeul Alipharmutosis. » L’essentiel est de prendre, à mesure qu’elles passent sous les yeux, une « vue d’ensemble » des contrées et d’en dégager les quelques traits, toujours peu nombreux, qui, tranchant sur l’uniformité, donnent à un pays, à un peuple, sa physionomie particulière, originale. Par exemple, — quelle sorte d’intérêt nous présente la Grèce ? L’intérêt que réveille aussitôt dans la mémoire le souvenir d’un nom fameux de l’histoire et de la légende : M. Reclus s’attache donc dans sa description de la Grèce à mêler le présent au passé, de telle façon qu’on voie le Grec d’autrefois revivre sous le ciel d’aujourd’hui, qu’on retrouve chez le jeune Athénien « la souplesse, la grâce, l’allure intrépide que l’on admire dans les cavaliers sculptés sur les