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peut-être Faure, et ce mot, qui certes contient un grand éloge, pourrait bien être également une critique.

Quant au roué français, au don Juan ordinaire,
Ivre, riche, joyeux, raillant l’homme de pierre,
Ne demandant partout qu’à trouver le vin bon,
Bernant monsieur Dimanche, et disant à son père.
Qu’il serait mieux assis pour lui faire un sermon,
C’est l’ombre d’un roué qui ne vaut pas Valmont.
Il en est un plus grand, plus beau, plus poétique,
Que personne n’a fait, que Mozart a rêvé,
Qu’Hoffmann, a vu passer au son de la musique
Sous un éclair divin de sa nuit fantastique,
Admirable portrait qu’il n’a point achevé,
Et que de notre temps Shakspeare aurait trouvé.


Il y a dans le personnage de Mozart tout un côté démoniaque que Faure néglige trop, préoccupé qu’il est exclusivement de la partie galante et roucoulante du rôle, et n’ayant pas l’air de se douter que, si don Juan n’était que Joconde, le ciel et L’enfer ne se remueraient pas pour se mêler de ses affaires. Un poète danois, Kierkegaard, a vigoureusement appuyé là-dessus dans quelques pages dignes d’Hoffmann et de Musset, et d’où j’extrais ce qui suit : « écoutez don Juan, écoutez ce début ; comme l’éclair jaillit de la profondeur de la tempête, il s’élance de la nuit, prompt, fatal, insaisissable. Voyez-le plonger pour s’y rompre le cou dans le tumulte de la vie : écoutez ces violons en délire, ces trémoussemens de joie, ces transports d’ivresse ; écoutez le bai effréné qu’une fuite éperdue va suivre. Il se précipite au dehors, voudrait s’échapper à soi-même, course rapide, téméraire, insensée ; écoutez ces élancemens inassouvis, ces inexorables tentations, écoutez ce silence fugitif d’un moment qui n’apaise rien ; écoutez, écoutez, écoutez le Don Juan de Mozart ! » C’est tout cela qu’il faudrait rendre et que Garcia, dit-on, seul rendit, car Nourrit, à qui sa rare intelligence révélait ces dessous du rôle, ne pouvait les mettre en valeur à cause du caractère efféminé de sa voix de tenorino, et l’excellent Tamburinine nous donna jamais qu’un don Juan macaronique d’opéra italien. M. Faure appartient à cette famille d’artistes qui, tout en faisant bien, s’appliquent à faire mieux : espérons que cette fois il ne nous en voudra pas de nos critiques ; ce serait en effet grand dommage, — si avancé qu’il est aujourd’hui vers la perfection, — de le voir s’arrêter en chemin pour n’avoir pas davantage fouillé, le type et corsé la note. Je souhaiterais à M. Gailhard plus de verve et d’entrain dans Leporello, il y manque d’autorité, côtoie le personnage sans y pénétrer à fond, et se contente d’escarmoucher ici et là, comme dans le sextuor, où sa belle voix fait merveilles. M. Vergnet joue un don Ottavio de fantaisie qui vous